Isabelle Écochard : « Dieu ne s’est pas trompé en nous créant fertiles »

René et Isabelle Écochard
Isabelle Écochard avec son époux René

Interview du Dr Isabelle Écochard, médecin et conseillère en fertilité.

Bonjour Docteur Isabelle Écochard, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Bonjour, je m’appelle Isabelle Écochard, je suis médecin à la retraite. Ce qui est important pour moi, c’est que je suis mariée avec René, et nous avons 4 enfants et 15 petits-enfants.

Comment avez-vous découvert les méthodes naturelles de régulation des naissances ?

La première fois que j’en ai entendu parler, c’est par ma sœur aînée, qui est juste au-dessus de moi. Elle s’était mariée deux ans avant, elle m’a proposé de lire un livre sur le sujet. Nous avons eu aussi un deuxième contact lors d’une retraite aux Houches1, où nous avons trouvé un autre livre.

Mais surtout, quand nous nous sommes fiancés, nous avons évidemment parlé régulation des naissances, et une chose était très importante pour nous, et surtout pour mon fiancé , c’était que Dieu ne s’était certainement pas trompé en nous créant fertiles, et que si le couple était fertile, Il avait certainement aussi créé un moyen pour que le couple puisse espacer les naissances. Donc ça nous a aidés à creuser dans ce sens-là. Et, deuxièmement, dans nos études de médecine, nous apprenions l’extraordinaire mécanisme du corps humain, et de toute sa physiologie. Et nous apprenions aussi qu’il est toujours dommageable de modifier une fonction du corps humain qui va bien. Donc, il nous est apparu impensable de modifier notre fertilité, ce qui nous a incités à creuser dans ce sens-là.

Lorsque nous nous sommes mariés, nous étions encore étudiants en médecine. Quelques années plus tard, il nous a été proposé de faire une thèse sur les méthodes naturelles. Ce qui nous a permis d’approfondir à la fois le côté scientifique et le côté psychologique. René a travaillé la partie scientifique, et moi la partie psychologique.

Et qu’est-ce qui vous a poussée à enseigner ces méthodes ?

Plusieurs choses m’ont poussée à enseigner ces méthodes. D’abord parce qu’elles étaient bonnes pour notre couple, on était très contents de les connaître, très contents de les appliquer, et on voyait les répercussions sur notre couple, sur notre dialogue, sur notre tendresse, etc. C’est certainement un point important.

Mais il y a un autre point important, nous avions évidemment lu Humanæ vitæ, l’encyclique du pape Paul VI qui encourage les couples à utiliser ces méthodes. Les derniers paragraphes sont destinés aux scientifiques et aux professionnels de santé pour les encourager à approfondir, faire de la recherche sur ces méthodes. Donc on a répondu à l’appel de Paul VI. C’est pour ça qu’on les a approfondis.

Le pape Paul VI, auteur de Humanæ Vitæ
Le pape Paul VI

Vous avez travaillé plusieurs années dans un centre de planification et d’éducation familiale, ces centres ont généralement une vision de l’amour et de la sexualité très différente de la vôtre. Ce travail a-t-il présenté des difficultés pour vous ?

Oui et non. D’abord j’y suis rentrée à la demande du patron, ce n’est pas moi qui ai demandé à travailler en centre de planification, c’est lui qui est venu me chercher. Nous avions provoqué un congrès sur l’allaitement et les méthodes naturelles, et on avait demandé à un professeur de médecine, à un gynécologue de le patronner. Et on a eu énormément de monde, et le colloque s’est avéré très intéressant. Et le chef de service a été très étonné, et il s’est dit : « Tiens, c’est quand même une voie intéressante. ». Il était dans le jury de notre thèse, donc il savait un petit peu ce qu’on faisait.

Et le soir du colloque, il m’a proposé un poste au centre de planification. J’ai pu adapter mes prescriptions à mon éthique, puisque le chef de service était parfaitement d’accord. Donc je dirais que ça a été facile pour moi de rentrer.

Par contre ça n’a pas toujours été facile vis-à-vis du personnel et des collègues, puisque justement les centres de planification ont été créés après la loi de 1967, il me semble, sur la légalisation de la contraception, et donc c’était des lieux pour distribuer et inciter à prendre la contraception, ce qui était l’opposé de ce que moi je proposais. J’ai travaillé 35 ans dans ce centre de planification.

Quel est votre souvenir le plus marquant de votre travail en centre de planification ?

La rencontre de couples merveilleux. Quand on vient en centre de planification pour demander des méthodes naturelles, on a déjà une réflexion intéressante et j’ai rencontré vraiment des gens passionnants. D’ailleurs, je suis encore en lien avec certains couples que j’ai suivis. Je me souviens d’une jeune fiancée qui est arrivée en disant : « Voilà, je suis fiancée, je voudrais apprendre ces méthodes. » Je l’ai suivie jusqu’à sa ménopause. D’autres choses m’ont frappée, par exemple j’ai suivi les quatre filles de la même fratrie, d’abord la sœur aînée et ensuite les trois autres sont venues. Autre chose, j’ai suivi les sept petites-filles de la même grand-mère, et je me suis dit : « Tiens, j’aimerais connaître la grand-mère ! ». Voilà, c’était des choses comme ça qui m’ont un petit peu amusée.

Quel est votre rôle auprès de la Fédération africaine d’action familiale ?

Mon rôle est ce qu’on appelle un consultant technique, c’est un bien grand mot pour dire qu’en fait nous sommes leurs amis. J’en suis membre avec mon mari René. Nous sommes leurs amis, et qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’on a été des facilitateurs. D’abord on a été des facilitateurs pour la première réunion, et puis on est là pour discuter avec eux, de leurs projets, etc.

J’ai travaillé pour la Fédération internationale d’action familiale, qui était basée aux États-Unis, et j’ai également travaillé pour l’université de Georgetown, qui m’a envoyée en Afrique. J’ai donc fait beaucoup de voyages. À l’époque je voyageais seule, je voyageais en Côte d’Ivoire, et je me suis vite rendue compte que ces projets qui étaient financés par les États-Unis n’étaient pas toujours nés dans le cerveau des Africains, ce n’était pas leurs propres projets. Et au bout d’un moment, j’ai renoncé parce que je trouvais que ce n’était pas éthique. Je pense qu’un projet africain doit être bon pour les Africains, c’est eux qui doivent en être les initiateurs et les acteurs.

Et donc j’ai arrêté mon travail à la Georgetown University de Washington. Nous avions des liens avec les Africains par un petit bulletin. Un jour ils nous ont joint en disant : « Essayez d’organiser une réunion pour nous. » Donc on a cherché des sponsors en France, et on a provoqué une réunion au Bénin, à Cotonou, à l’Institut Jean-Paul II du Bénin. Les Africains ont alors fondé leur fédération.

Donc je dirais que oui, on est leurs consultants techniques, mais on est aussi leurs grands-parents. Vous voyez ce que je veux dire ? D’ailleurs, souvent ils m’appellent Maman Isabelle. On les aide un petit peu dans la rédaction de projets, etc. Ça fait 24 ans maintenant que la Fédération africaine d’action familiale existe, actuellement nous sommes en train d’écrire ensemble une formation continue pour les agents pastoraux. Elle est présente dans 23 pays africains, elle s’est vraiment considérablement étendue.

Donc ce sont des projets au service de la famille, et de l’évangélisation : vous parlez d’agents pastoraux ?

Exactement. Puisque souvent ils sont financés par l’Aide à l’Église en détresse, qui donne comme seule obligation que les projets soient acceptés par l’évêque du lieu. Donc ça leur donne beaucoup de chances d’être en lien avec l’évêque.

Vous avez été présidente de l’Institut européen d’éducation familiale. Quel est le rôle de cet institut ?

L’Institut européen d’éducation familiale existe depuis 1994, et c’est aussi une fédération. Il fédère toutes les associations qui s’intéressent aux méthodes naturelles en Europe, de la Russie jusqu’au Portugal, l’Europe du nord, l’Europe du sud… Et sa particularité, c’est d’avoir fait d’abord des recherches dans les années 80-90 : les premières questions qu’on s’est posées sur les méthodes naturelles à ce moment-là, au niveau européen : est-ce que c’est efficace ? Deuxièmement : est-ce que c’est vivable ? Est-ce que les couples sont contents ? Donc on a répondu à ces grandes questions. Aussi on a travaillé sur l’allaitement ensemble, c’était un moment très intéressant avec tous ces chercheurs qui étaient très différents, entre les Allemands, les Italiens, les Anglais… C’était incroyable de travailler tous ensemble, d’envoyer nos dossiers, en Allemagne, à Düsseldorf, en Italie, à Milan… On a fait des recherches avec eux, pour pouvoir répondre à nos questionnements. Oui, c’est efficace. Oui, les couples qui l’utilisent, à condition que ce soit bien enseigné, les trouvent acceptables. Et elle vit encore cette fédération.

Couple pratiquant les méthodes naturelles de régulation des naissances

Vous faites partie de l’Association Médicale Gabriel, pouvez-vous nous dire en deux mots de quoi il s’agit ?

L’Association Médicale Gabriel est une association qui s’est donné deux missions. La première est d’aider les professionnels de santé à s’installer selon une éthique, le respect de la vie, de sa conception à sa mort naturelle.

Quand je suis arrivée à l’Association Médicale Gabriel, elle existait déjà depuis quelques années. Nous avons ouvert le premier centre médical, la Maison Médicale de la Présence, à Lyon, avec cinq médecins, deux sage-femmes, des psychologues, une diététicienne, etc., tous réunis autour d’une même éthique.

Un jour, ces professionnels de santé nous ont demandé d’organiser un colloque. Voilà trois ans que ces colloques ont lieu, nous préparons le quatrième. C’est l’autre mission de l’Association Médicale Gabriel, qui est de réunir autour du « prendre soin de la fertilité au naturel », tous ceux qui, en France, font la même chose, et se sentent un petit peu isolés. Donc on a pas mal de gens qui sont fidèles, on a en général 100, 120 personnes qui viennent chaque année.

Y a-t-il une expérience ou une rencontre qui a marqué votre parcours et influencé vos choix de vie ?

Charles et Abeth Rendu2 étaient des personnages hauts en couleur. Charles Rendu était médecin à Paris, à l’hôpital Saint-Joseph, et Madame Rendu était apicultrice, et aussi infirmière. Ils se sont rencontrés alors que lui était veuf, et elle avait adopté, à la sortie de la deuxième guerre mondiale, six orphelins. Donc ça donne déjà un petit peu le personnage. Charles Rendu avait quatre enfants. Il s’était toujours intéressé aux méthodes naturelles. Ils ont fait partie des premiers chercheurs qui ont travaillé sur le rôle de la progestérone dans le cycle féminin.

Et ce qui m’a frappée dans ce couple, c’est une grande foi en Dieu créateur, et puis, aussi une certitude que l’Église faisait des bonnes propositions pour le couple. Ils ont d’ailleurs été parmi les experts à la rédaction d’Humanæ Vitæ.

Quel a été le plus grand défi que vous avez eu à surmonter dans votre parcours ?

En voilà une question ! Eh bien, les méthodes naturelles ne sont pas toujours comprises par tout le monde, et il y a eu un moment où l’association à laquelle j’appartenais a voulu me mettre dehors parce que je promouvais les méthodes naturelles. À l’époque, j’étais la coordinatrice nationale d’un groupe d’une centaine de monitrices qui enseignaient les méthodes naturelles. On était un bon groupe, on travaillait bien, on a d’ailleurs participé aux recherches italiennes, aux recherches de la Georgetown University sur l’allaitement, on avait fait de grandes choses, je dirais.

Eh bien, parce que je promouvais les méthodes naturelles, l’association a voulu me mettre dehors. Et le prêtre, l’aumônier de cette association s’y est opposé. Mais je me suis sentie dans une très grande fragilité, là. Je me suis dit, « j’ai derrière moi cent personnes que j’ai formées. Il faut que quelqu’un prenne la relève. Mais aussi il faut que ça continue, il ne faut pas que les laisser tomber. » Et alors, j’ai eu l’idée de réunir quelques personnes en Alsace et on a fondé ainsi le groupe des Cigognes qui fonctionne encore.

Et on s’est réunis en se disant : « Est-ce qu’il faut arrêter en France, puisque personne ne comprend ce qu’on fait ? Nous-mêmes, on ne comprend pas tout le développement de la pensée de l’Église. » Et du coup, on s’est mis à réfléchir ensemble, pendant une semaine. Et à la fin de la semaine, on s’est dit : « Oui, il faut qu’on continue. » Et ça fait 25 ans que nous nous réunissons une semaine par an pour réfléchir au bien-fondé de la parole de l’Église sur la sexualité humaine.

Donc, c’est un groupe de réflexion ?

C’est un groupe de réflexion qui est complètement informel. Mais nous avons provoqué des réunions, des réunions à Lyon, à Paris, même à Rome. Et c’est avec ce groupe-là qu’a été fondé le master de l’Institut Jean-Paul II sur la sexualité.

Quelle est la place de la prière personnelle dans votre vie ?

C’est très important pour moi. Je pense, je ne sais pas si je tiendrais sans… Il se trouve que j’ai deux grosses pathologies médicales et je ne tiendrais pas si je n’avais pas la prière. Et si je n’avais pas la prière en couple. Souvent, avec mon mari, on se dit que la prière nous tient, tous les deux. Et quand reprennent un petit peu les conflits conjugaux habituels, on reprend la prière plus sérieusement entre nous. C’est important. Nous avons la chance d’être dans une paroisse où nous pouvons aller à laudes quatre ou cinq fois par semaine, avec la messe, c’est bien agréable.

Un prêtre célèbre la messe

Quels sont vos projets à venir ? Travaillez-vous sur un nouveau livre ou d’autres initiatives ?

Pour l’instant, je travaille sur deux choses. Il se trouve que l’Université de théologie d’Angers rédige un dictionnaire qui s’appelle Vocabulaire théologique du corps, et donc je dois écrire un article dans ce dictionnaire. Et puis, je souhaite travailler l’écologie intégrale, la place de l’homme, des méthodes naturelles et de la sexualité dans l’écologie intégrale. Je présenterai ce travail à Douai en octobre.

Quel est votre passage biblique préféré ?

Ah, je pense que c’est la Genèse ! Genèse 1 et 2. Pourquoi ? C’est finalement notre préhistoire anthropologique. Bien sûr, la Genèse nous décrit un paradis perdu, mais finalement, il est bon de savoir que nous avons été créés comme cela. Pour moi, c’est merveilleux de savoir que Dieu Créateur avait prévu pour le couple, pour l’homme et pour la femme, un dessein aussi beau. Et finalement, on peut, par nos actions, par nos choix, essayer de le faire revivre.

La création d'Ève par Christian Devleeschauwer, XVIe siècle
La création d’Ève par Christian Devleeschauwer

Et finalement, les méthodes naturelles sont aussi une réponse. C’est-à-dire que dans le Paradis, dans le jardin merveilleux qu’est le jardin d’Éden, la fertilité du couple – c’est la seule qui est nommée – telle qu’elle nous a été donnée dans notre couple, elle est bonne. Et donc, c’est pour ça que c’est important pour moi de proposer au couple de ne pas avoir à la modifier. Parce que c’est un trésor.

Quelle est la qualité que vous appréciez le plus chez les autres ?

Je pense que c’est la franchise. L’amitié, l’amour ne peuvent pas être parfaits s’il n’y a pas la vérité. D’ailleurs il y a un psaume qui dit : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent. »

Quelle est votre musique préférée ?

Vous savez, j’aime le silence. Et d’ailleurs, j’ai trois filles qui sont de très bonnes musiciennes. Il y en a qui ont fait le conservatoire. Elles sont montées très haut en piano. Cependant, j’aime le silence. Ceci dit, j’aime beaucoup la musique du film Mission. Cette histoire des Indiens guaranis qui ont été évangélisés par des jésuites. Avec ces deux jésuites, il y en a un qui choisit les armes pour lutter contre les Espagnols, et puis l’autre qui choisit la prière. Et je trouve que c’est un bel exemple de ce que l’homme a à vivre tous les jours. Et puis c’est du hautbois très beau.

Quel est votre saint préféré ?

Il me semble que c’est saint Joseph. Pourquoi ? Sans saint Joseph, ça aurait vraiment été difficile pour le Christ d’advenir, et pour la Vierge Marie de le mettre au monde et de l’élever, etc. Donc, c’est un personnage absolument essentiel. Et c’est un personnage qui est discret. Et qui parle peu. Finalement, comme quoi… Moi, je ne suis pas très bavarde. Bon, ça tombe bien parce que j’ai un mari très bavard. On n’a aucune paroles de Saint Joseph dans la Bible. Toute l’histoire de Jésus a reposé sur lui. Voilà pourquoi j’aime bien saint Joseph.

Saint Joseph

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Notes

1 Au Foyer de charité de La Flatière.

2 Les fondateurs de l’association CLER Amour et Famille.

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