Jean Birnbaum et Marianne Durano : « Seul l’enfant sauve le monde »

À rebours des discours qui encouragent la baisse de la natalité, l’essayiste Jean Birnbaum et la philosophe Marianne Durano rappellent à quel point c’est l’enfant qui rend le monde authentiquement vivable.

Pourquoi chacun d’entre vous a-t-il ressenti le besoin d’écrire un éloge de la natalité à partir de sa tradition philosophique, politique et religieuse propre ?

Marianne Durano – Je suis à la croisée de deux traditions : la pensée écologiste, d’une part, qui, au nom de l’environnement, questionne la démographie depuis plusieurs décennies, prône une parentalité responsable qui limite les naissances et prend en compte les ressources de la planète ; la tradition des penseurs catholiques, d’autre part, grands défenseurs de la natalité, parfois dans le déni des problématiques écologiques. J’ai voulu faire dialoguer ces deux traditions et répondre en conscience qu’on peut vouloir de nombreux enfants et défendre la vie humaine, sans pour autant mépriser ceux qui ne veulent pas avoir d’enfants pour des raisons écologiques, ni ignorer leurs mises en garde. J’ai voulu dire à un certain lectorat chrétien que, pour continuer à défendre la famille nombreuse, il fallait prendre vraiment au sérieux la catastrophe écologique.

Jean Birnbaum – De mon côté, j’ai voulu que Seuls les enfants changent le monde soit une explication tendre et frontale avec la génération «No kids». Il y a une certaine bizarrerie à considérer que, pour sauver le monde, il faut arrêter de faire des enfants. Je viens d’une tradition de gauche selon laquelle changer le monde, cela veut dire, bien sûr, bouleverser la structure familiale. Mais ce bouleversement n’a de sens que pour les générations à venir ! L’enfant est le plus haut porteur d’espérance, toute promesse politique est toujours une promesse faite aux enfants. Avec ce livre, je m’adresse à tous ceux qui considèrent comme une folie de mettre un enfant dans un monde aussi épouvantable. J’ai moi-même été élevé dans une famille où l’on ressassait des choses morbides – à commencer par la Shoah et la guerre d’Algérie – et pour qui, cependant ou plutôt justement, l’enfant demeurait le seul garant de toute survie digne de ce nom.

M. D. – Vous avez formulé les deux questions qui ne sont pas toujours bien distinguées dans le débat. S’agit-il de protéger la planète en ne mettant pas d’enfant au monde, ou, de protéger les enfants en ne les mettant pas au monde, car il est trop atroce ? Ces deux questions sont différentes. La première est la plus facile. Considérez les chiffres: les 3 milliards de personnes les plus pauvres de la planète, soit 45% de la population mondiale, émettent 7% des émissions à effet de serre. Dans un parallélisme quasi parfait, les 7% les plus riches en émettent 50%. Le Français moyen émet 8 tonnes de CO2 par an, c’est beaucoup trop ! Pendant ce temps, sur son yacht, Thomas Leclercq, le fils du patron de Décathlon, a dépensé en une seule journée, le 15 août 2022, 3,7 tonnes de CO2, selon le collectif Mega Yacht CO2 Tracker, qui l’a suivi à la trace. À titre de comparaison, il faudrait en émettre 2 tonnes par an et par personne maximum pour être en adéquation avec l’accord de Paris sur le climat. Après, on vient nous dire que le problème, ce sont les femmes qui ont trop d’enfants, ça me met en colère…

Il n’en demeure pas moins que la croissance démographique pose un problème écologique.

M. D. – Le vrai problème est celui de nos modes de production et de consommation. À quoi bon travailler et produire autant, si c’est au détriment du vivant en général, et de nos vies de famille en particulier ? Certains milieux alternatifs disent au contraire : « Travaillons moins pour vivre mieux et profiter de nos enfants. » Tout dépend de quel travail on parle ! Si travailler, c’est s’ingénier à vendre le maximum de pots de yaourt en plastique, il vaut mieux, en effet, moins travailler. Cette productivité, je n’en veux pas : je préfère la croissance des plantes et des petits d’hommes.

J. B. – Je me méfie du discours qui invite à se retirer du monde pour recréer autre chose. Je viens de lire le travail d’une sociologue, Julie Pagis, qui a étudié une petite communauté de maoïstes. Sept couples qui, après 1968, ont voulu prolonger leur espérance révolutionnaire. L’expérience fut épouvantable. Ils prétendaient créer une communauté émancipée, avec une crèche prolétarienne, des fêtes dans des foyers immigrés… mais tout tournait autour d’un gourou manipulateur, qui contrôlait les corps et les couples. Je suis cependant d’accord avec ce que vous dites sur le productivisme et la nécessité d’inventer d’autres modes de vie. Or, d’un point de vue écologique, qu’est ce qui peut nous donner davantage envie de prendre soin de la planète que d’avoir des enfants ? C’est un tel apprentissage de la vulnérabilité…

Appartient-il au politique d’encourager la natalité ?

J. B. – J’ai grandi dans un milieu où l’on associait forcément la fête des Mères à Pétain. Quand Macron a parlé de « réarmement démographique », la phrase était maladroite, pénible. Mais, à l’idée même que l’État doive se préoccuper de la crise des naissances, certains répondent tout de suite : « Pétain, l’extrême droite. » Pourtant, il est suicidaire pour la gauche d’abandonner les préoccupations liées à la natalité ou de les réduire à quelque chose de réactionnaire. On ne peut pas penser un nouveau monde sans faire droit aux nouveau-nés.

M. D. – Ces débats pro ou anti-natalistes sont pour moi les deux faces d’une même médaille. Que l’État doive se préoccuper de la natalité, trop forte ou trop faible, me gêne, car l’enfant n’est pas la variable d’ajustement d’un système économique. Derrière les discours pro-natalistes, il y a aussi l’inquiétude du grand remplacement, l’idée qu’une catégorie de la population fait trop d’enfants et une autre pas assez. Je trouve cela suspect.

Vous estimez qu’une forme de doute moral à l’idée de faire naître un enfant dans un monde chaotique est plus difficile à balayer. Pourquoi ?

M. D. – Cette question existe dans toute la tradition philosophique, chez Épicure par exemple, qui écrit, au IVe siècle av. J.-C., dans la Lettre à Ménécée : « On fait pis encore quand on dit qu’il est bien de ne pas naître. Car si l’homme qui tient ce langage est convaincu, comment ne sort-il pas de la vie ? C’est là, en effet, une chose qui est toujours à sa portée, s’il veut la mort d’une volonté ferme. » Pourquoi faire des enfants ? Il me semble que cela revient à se demander : « À quoi bon vivre ? » Rester vivant, c’est admettre implicitement que la vie mérite d’être vécue. A contrario, je n’aime pas la rhétorique selon laquelle il faut faire des enfants pour qu’ils soient meilleurs que nous, pour changer le monde. Si nous avons échoué, nous n’allons pas leur mettre cette responsabilité sur les épaules. Je dirais plutôt avec Hannah Arendt qu’il faut trouver dans les yeux de nos enfants la force de faire nous-mêmes des sacrifices nécessaires pour eux. C’est à nous de préserver ce monde pour la nouvelle génération.

J. B. – Je suis d’accord avec vous. Hannah Arendt ne dit pas que c’est aux enfants de changer le monde, mais que chaque enfant qui naît introduit du neuf dans le monde, presque malgré lui. Vous avez parlé de miracle : Arendt dit précisément que chaque enfant est un « miracle qui sauve le monde ». Elle s’inscrit dans un registre chrétien en parlant de « bonne nouvelle ». Le monde ne peut être changé sans eux. Par leur simple surgissement, ils le bouleversent. Quant à la question de mettre des enfants dans ce monde terrible, avec la crise climatique, les guerres, etc., il faut se souvenir tout de même que, par le passé, rares ont été les époques idylliques… Arendt elle-même a vécu une époque où le monde sombrait dans la barbarie totalitaire… Dans La Tradition cachée, elle dit : « Nous avons été témoins de souffrances plus atroces que la mort, sans pouvoir trouver un idéal plus élevé que la vie. » C’est simple. Non seulement il ne faut pas renoncer à avoir des enfants, mais c’est quand l’humanité semble courir à sa perte que le seul avenir possible passe par l’engendrement, qui nous remet au cœur d’une éthique de la vie. Moi, j’ai grandi avec une grand-mère allemande pour qui faire des bébés au moment de la barbarie était le sursaut par excellence, la plus haute des révoltes.

M. D. – J’irais même plus loin. À l’échelle d’un pays, comme à l’échelle du monde, ce sont les plus pauvres qui ont le plus d’enfants. La réponse : « C’est parce que, précisément, ils sont pauvres, ils n’ont pas accès à la contraception, ils ne sont pas capables de réfléchir », n’est pas satisfaisante. Ce fait questionne quelque chose de plus fondamental, de plus profond dans le rapport à l’existence, au risque et à la richesse. Bien sûr, on est en crise climatique, mais on n’a jamais vécu dans un monde aussi riche, avec autant de confort, de sécurité, avec un accès à la santé et aux soins aussi démocratisé. Comment se fait-il que surgisse justement, dans ce monde-là, la question de la légitimité de mettre un enfant au monde ? Ne sommes-nous pas prisonniers d’une vision trop consumériste du bonheur ? Je ne minimise pas l’angoisse écologique, mais notre époque peine également à accepter la possibilité de la mort, du manque, de la souffrance, toutes choses pourtant inévitables ici-bas.

Pourquoi envisageons-nous plus difficilement la possibilité que nos enfants souffrent  ?

M. D. – Parce que nous sommes les premières générations à pouvoir planifier techniquement une naissance. On a alors une responsabilité exorbitante sur les épaules quand on décide de concevoir des enfants : on se sent sommés de les «réussir», de leur offrir la plus belle vie possible ! Aujourd’hui, on doit se justifier d’avoir des enfants, mais c’est une question qui ne peut pas recevoir de bonne réponse. Pourquoi ? Parce que l’on répondra toujours en justifiant l’enfant par autre chose que lui-même. Si je dis : «J’ai un enfant pour sceller mon amour ou m’accomplir », je réduis cet enfant absolument singulier à un rouage dans mon propre « projet de vie ». Or, si l’enfant est un projet, c’est un projet voué à l’échec : d’abord il va mourir. Et puis, quiconque a des enfants sait qu’ils passent leur temps à déjouer nos plans ! S’il y a une crise de la natalité, c’est justement que l’enfant ne se laisse pas réduire à notre mentalité technique de planification. L’enfant ne vient pas, il vient quand on ne veut pas qu’il vienne, il vient, mais n’est pas comme on avait pensé qu’il serait… C’est un facteur d’angoisse pour beaucoup de gens.

J. B. – Étrangement, depuis que j’ai publié ce livre, je suis devenu une sorte de consultant pour de jeunes couples qui sont travaillés par ce désir, mais qui ont peur, hésitent. Ils sont sensibles aux arguments parfois justifiés, féministes ou écologiques, de ceux qui répandent le «puéro-scepticisme». Mais certains propagandistes infantophobes vivent un peu dans un fantasme d’auto-engendrement, comme s’ils s’étaient donnés à eux-mêmes la vie. Ils font de la parentalité le signe du conformisme bourgeois, une condition qui nous rendrait esclaves du système patriarcal et capitaliste. La subversion, la radicalité, ce serait de ne pas avoir d’enfant. À ces jeunes qui doutent et qui m’en parlent, je dis que c’est exactement l’inverse. Dès qu’il naît, l’enfant nous échappe et nous bouscule, il nous propulse dans un espace où toutes les certitudes vacillent, il nous expose aux événements les plus imprévisibles. L’enfant dynamite d’emblée notre prétendu «projet» d’enfant.

Est-ce ce qui explique le phénomène récent et médiatisé du « regret d’être mère », théorisé par la sociologue Orna Donath ?

J. B. – Je ne suis pas le mieux placé pour évoquer le « regret d’être mère »… Mais ce que je peux esquisser, c’est que tout parent s’expose à de mauvaises surprises s’il n’inscrit pas son désir d’enfant dans un certain rapport symbolique à la transmission – je prends le mot « symbolique » au sens de ce qui me dépasse, de ce qui fait signe vers autre chose que moi. Rosa Luxemburg aurait voulu un enfant pour que son espérance révolutionnaire ne s’arrête pas. Que le rapport au symbolique désigne une espérance politique ou spirituelle, qu’importe. L’essentiel est que vous plongiez avec l’enfant dans un bain symbolique, une nappe de langage qui enveloppe ce à quoi vous tenez, qui vient de plus loin que vous et dont vous voudriez qu’il aille au-delà. Mais si vous faites un enfant parce que «c’est le moment», ou sous la pression de la société, l’instant où vous vous retrouverez face à votre bébé qui vomit la nuit, au milieu des couches et du liniment, cet instant risque d’être un brin douloureux…

M. D. – Dans Le Regret maternel (Larousse), Astrid Hurault de Ligny dit qu’elle ne réussissait pas à accepter, non pas l’enfant, mais son nouveau rôle social, ce que la société lui renvoyait en tant que mère. L’enfant n’est pas seulement l’affaire de ses parents, il a une dimension sociale, politique, qui doit être valorisée. Or, je voudrais témoigner que dans certains milieux alternatifs et écologiques, il y a une vraie place accordée à l’enfant, beaucoup plus que dans les quartiers bourgeois. Pas plus tard que ce matin, je suis allée à Ménilmontant et je suis tombée par hasard sur un squat nommé le TEP (terre d’écologie populaire). Il y avait un panneau : « Attention, ici les enfants et les poules sont en liberté, merci de tenir vos chiens en laisse », avec des jeux en libre accès. J’ai trouvé ça génial ! Dans la ville où les enfants sont mal venus, c’était un havre de paix. Ces gens engagés au point de vue social et écologique voient bien le lien avec la place accordée à l’enfant, au plus fragile, à celui qui nous dérange, à l’improductif, celui qui crie, qui ne correspond pas à nos standards de réussite.

Vous racontez dans votre livre, Jean Birnbaum, que vous posez souvent la question de l’enfant aux personnes que vous interrogez. Je voudrais vous la poser à mon tour à tous les deux : de quoi l’enfant vous a-t-il sauvé ?

J. B. – Je suis né pour avoir des enfants. Depuis tout petit, je suis obsédé par cette question sans savoir pourquoi, et Seuls les enfants changent le monde est une enquête sur ce sujet. Avoir des enfants a tout changé : cela m’a donné des forces, du courage, un certain rapport à la nuance. Ce livre est un post-scriptum ému au Courage de la nuance (Seuil), que j’ai écrit en 2021 quand je me suis aperçu qu’il y avait de moins en moins de débat possible dans notre société. Après l’avoir publié, j’ai pris conscience d’une bizarrerie : je n’y évoquais pas l’expérience où s’enracine le plus le courage de la nuance, à mes yeux, c’est-à-dire la parentalité. Quand on est face au regard intimidant du bébé, on apprend à dire : « Je sais que je ne sais pas. » C’est le plus subversif des philosophes : il nous apprend à tout reprendre à zéro, à cesser de prendre la pose, à faire tomber les masques de la comédie sociale. Cela ne veut pas dire que je suis un bon père ou que je fais bien les choses, mais quand je fais du vélo avec mon ado, du ski avec mon fils de 9 ans, ou quand je me laisse guider par ma fille de 2 ans, j’ai toujours l’impression que rien ne peut m’arriver, car être responsable d’eux me donne une force incroyable. Je suis propulsé dans un espace de responsabilité où la prudence est la plus belle des audaces, comme le dit Aristote. Chaque fois que j’ai un peu de courage en société, que j’ose dire ce qu’il y a à dire, ou voir ce qu’il faut voir, comme l’affirme Péguy, j’ai toujours l’impression que je le dois à mes enfants.

M. D. – Je ne m’imaginais pas avoir des enfants et pourtant j’ai eu mon premier à 23 ans. Avoir des enfants m’a permis de redescendre dans la matière. Avant, je pouvais soutenir une thèse puis son contraire par pur jeu de langage; et, soudain, avec des enfants, arrive le réel avec ses lois. Cela rend humble, car l’on voit bien que l’on n’arrive pas à atteindre l’idéal, éducatif par exemple, que l’on peut viser. J’ai aussi un enfant de 9 ans qui me pose des questions auxquelles je ne sais pas répondre. Il me demande : « Tu leur enseignes quoi, à tes élèves, puisque tu ne sais rien ? » Socrate apprécierait.

Que doit l’écriture de vos livres à vos expériences et à vos traditions spirituelles respectives ?

M. D. – Je suis catholique, mais je suis agacée par certains milieux conservateurs chrétiens, où l’on se dit que l’on peut continuer à avoir huit enfants, sans rien changer à son mode de vie, car «Dieu pourvoira». Quand je partageais mon projet de livre et mes questionnements sur la crise écologique à certaines mères de famille, elles évacuaient la question en disant : « Je suis croyante, donc j’engendre des enfants pour l’Éternité, la question ne se pose pas. » Cela m’a interrogée. Une certaine foi en l’Au-delà peut nous faire relativiser les crises d’ici-bas, encourager un certain déni, de l’inconséquence ou de l’irresponsabilité politique. J’essaie d’être croyante et j’ai foi en un Au-delà ; mais, pour moi, cet Au-delà est déjà présent ici et maintenant. Dieu qui est amour se manifeste à travers le regard de mes enfants, et c’est la présence d’une vie précaire, débordante d’amour, c’est cette présence de l’enfant qui m’aide à croire en Dieu. Ce n’est pas parce que je crois en Dieu que je me dis que mes enfants s’en sortiront et iront au Paradis, c’est l’inverse. Avoir des enfants m’aide à croire. Ce n’est pas : de toute manière, Dieu ayant créé le monde, Il peut bien le sauver. Au contraire, je me sens d’autant plus responsable que je me sens responsable devant Dieu. Pour moi, ma foi m’oblige.

J. B. – Mes livres ont souvent été particulièrement bien accueillis en milieu chrétien, d’abord catholique. À la fin d’une conférence à Lourdes, une personne dans l’assemblée m’a demandé si j’allais me convertir, c’est dire ! Ma vision du monde, pour diverses raisons connues ou inconscientes, tend apparemment vers quelque chose de chrétien. Cela me parle beaucoup quand vous dites que vos enfants vous donnent la force ou le désir de croire, c’est très beau. Je pourrais reprendre ces mots, mais sans le terme «croire». J’ai reçu une éducation éloignée du judaïsme, et le peu que j’ai reçu de cette tradition, et que je me fais fort de transmettre à mes enfants, c’est l’urgence absolue de la transmission. «De génération en génération», ce motif est central dans la tradition juive. Ce qui nous met en mouvement depuis toujours, on ne le maîtrise pas, souvent même on n’en sait pas grandchose. Mais je ressens ceci comme une évidence solide: du fond de mon ignorance, la survie des enfants enveloppe le tout de mon espérance. Le peu que je sais, tout ce que je voudrais transmettre d’une tradition millénaire – « La survivance inouïe du petit peuple juif », affirmait Jacques Derrida –, la fidélité à des textes et à des gestes, est lié à cet élan, l’enfant.

M. D. – Israël et les chrétiens ont en commun l’Ancien Testament, et cette idée qu’on a des devoirs envers ses parents car la vie est toujours un don, un cadeau précieux. Voir la vie comme un don, et notre vie comme un cadeau, est la racine d’une attitude profondément spirituelle.

Publié le 9/10/2024. Auteur : Pauline Quillon, Famille chrétienne

« L’enfant est l’avenir de l’homme » par Aziliz Le Corre, Albin Michel, 256 p., 19,90 €.
Journaliste au JDD et mère de deux enfants, Aziliz Le Corre s’inspire de sa formation philosophique comme de sa propre expérience pour répondre à la génération «No kids» et défendre l’engendrement. Sous la forme d’un essai libre, elle balaie tous les aspects sociétaux se rapportant à la maternité, depuis la préoccupation écologique jusqu’à l’infertilité, en passant par le regret maternel ou les politiques familiales. Mais, au-delà des griefs exposés, elle diagnostique avant tout, dans l’aversion de certains courants idéologiques à l’égard de l’enfant, un formidable égoïsme, symptôme d’une société qui a perdu tout sens du collectif, et plus largement tout sens spirituel. Sauver l’enfant revient alors à sauver une civilisation de l’amour, celle érigée par un Occident qui s’effrite à tous les vents d’un triste et morne nihilisme. (P. Q.)

Courtes biographies des personnes interrogées
Marianne Durano est normalienne, agrégée de philosophie et professeur de philosophie depuis dix ans. Sa carrière fut entrecoupée par la naissance de ses quatre enfants. Auteur, en 2018, de Mon corps ne vous appartient pas (Albin Michel), elle publie en cette rentrée Naître ou le néant(DDB). Décroissante, elle est engagée depuis 2019 au sein de l’éco-hameau de La Bénisson-Dieu.

Jean Birnbaum, rédacteur en chef du Monde des livres, a trois enfants. Auteur du Courage de la nuance (Seuil), il a écrit son dernier livre, Seuls les enfants changent le monde (Seuil) comme un post-scriptum au précédent. Grand lecteur de Bernanos, il cultive l’art de prendre sa propre tradition, de gauche, à front renversé.