La soif de vivre des personnes handicapées

À la veille du vote par l’Assemblée Nationale de la loi instaurant un « droit à mourir », environ 200 personnes handicapées et malades, ainsi que leurs proches aidants, se sont rassemblées près de l’hôtel des Invalides et de l’Assemblée Nationale, le samedi 24 mai 2025.
Ces personnes handicapées et ces malades seraient « éligibles » à l’« aide à mourir », selon les critères décidés par les députés : « Quand on a une maladie incurable et qu’on ressent que sa qualité de vie n’est pas satisfaisante, on est éligible » affirme Magali Jeanteur, dont le mari souffre d’un syndrome d’enfermement : une paralysie totale tout en ayant des facultés cognitives intactes1.
Le texte voté prévoit la création d’un « droit à l’aide à mourir » pour les personnes atteintes « d’une affection grave et incurable » qui « engage le pronostic vital, en phase avancée » ou « terminale », et présentant « une souffrance physique ou psychologique constante2 ». Pour les personnes handicapées réunies à Paris, ce texte est trop flou et pourrait concerner chacun d’entre eux.
Une loi qui ne protège pas les plus vulnérables
La ministre de l’Autonomie et du Handicap, Charlotte Parmentier-Lecocq, a affirmé à l’AFP que « Le droit de vivre dans la dignité est et restera le principe cardinal autour duquel s’articule l’accompagnement de la personne. Le droit de mourir dans la dignité ne l’entrave en rien. » Pourtant, cette loi représente un véritable danger pour les plus vulnérables, qui ne sont pas protégés, et qui risquent d’être poussés vers la mort alors qu’ils auraient pu choisir la vie.
Lors des discussions à l’Assemblée Nationale, les députés ont rejeté toutes les mesures de protection. Ils ont décidé d’un délit d’entrave à l’« aide à mourir » mais ont refusé la mise en place d’un délit d’incitation : il est autorisé de dire, même avec insistance, aux personnes malades, qu’elles feraient mieux de demander à en finir, mais il n’est pas permis de leur dire : « Mais non, ne demande pas la mort, tu peux vivre ! » C’est paradoxal dans un pays où laisser une personne se suicider est puni par la loi.
Cette loi représente un danger pour les personnes handicapées, d’autant plus que, après examen de la demande et acceptation par le médecin, le malade est tenu à un délai de réflexion de deux jours seulement. « Cette loi est très violente pour nous. Elle nous met en danger. Notre vie est difficile. Il y a des jours ou on peut être tentés de baisser les bras. Si ce jour-là, l’aide à mourir est plus facile que l’aide à vivre, on craint que beaucoup d’entre nous soient tentés de mettre fin à leurs jours. » déclare Magali Jeanteur au nom de son mari1. « Cette loi me fait l’effet d’un pistolet chargé déposé sur ma table de nuit, afin que je mette fin à mes jours le jour où je me dirai que je suis un poids trop important pour mes proches ou que la société me dira que je coûte trop cher. », s’inquiète Edwige Moutou, 44 ans, atteinte de la maladie de Parkinson2.
Les personnes handicapées rassemblées le 24 mai 2025 ont soif de vivre, mais elles ne cachent pas que la vie n’est pas toujours facile. À combien de personnes n’est-il pas arrivé, à un moment de leur vie, de se dire « J’aimerais mourir », et d’être bien heureuses plus tard qu’aucun génie n’ait exaucé leur souhait du moment… Les personnes handicapées venues témoigner veulent qu’on les aide à passer les caps difficiles, pas qu’on les enfonce.

La vie des personnes handicapées vaut la peine d’être vécue
Le fait d’être déclaré « éligible » à l’aide à mourir peut être ressenti comme une atteinte à la dignité, comme une négation de la valeur de la vie des personnes handicapées. « On peut vivre la vie et vouloir donner le meilleur de nous-mêmes, alors que la mentalité incarnée dans la loi nous dit le contraire, c’est un indicateur inquiétant ! » exprime Orvedie Claudio, 18 ans, atteint de dystonie, un handicap moteur1. « Il y a un an, les athlètes paralympiques croulaient sous les applaudissements du monde entier, époustouflé par leur courage, leur résilience… Était-ce pour faire de notre pays un modèle d’inclusion ? (…) Nous, personnes vulnérables, les éligibles, les personnes avec ce petit truc en plus et non pas en moins qui bousculent le monde, nous sommes ces combattants de la vie, ces athlètes paralympiques à notre manière ; dans le combat douloureux de la maladie. » revendique Marie-Caroline, auteur et conférencière1.
Il est vrai que certaines personnes handicapées ou atteintes de maladies chroniques souffrent énormément, et pour certaines d’entre elles voudraient mourir. Ces personnes ont besoin d’être aidées, elles n’ont pas besoin d’être tuées. Les personnes handicapées, que ce soit un handicap physique, une maladie invalidante, un handicap mental ou un handicap psychique, ont besoin d’être regardées et entourées par des personnes qui croient que leur vie en vaut la peine. Elles ont besoin d’être soutenues dans les moments difficiles, dans les moments de doute. Leur vie n’est pas constituée uniquement de ces moments difficiles, en tout cas pour celles qui ne sont pas seules. Il faut combattre la solitude, pas faire cesser la vie. Les personnes qui se sont réunies pour protester contre la loi pour l’« aide à mourir » en témoignent : même les handicaps les plus lourds n’empêchent pas forcément d’aimer la vie et de ressentir la joie de vivre. Et les personnes handicapées ne sont pas un poids pour la société, elles ont énormément à donner. Plutôt que de leur proposer de disparaître, l’État français devrait davantage soutenir les proches aidants.
La loi instaurant le « droit » à l’« aide à mourir » a été votée lors d’un premier passage à l’Assemblée Nationale, le 27 mai 2025. Elle doit encore être examinée par le Sénat en automne 2025, puis les députés prendront une décision définitive. Il reste donc encore un espoir que les sénateurs puissent proposer des mesures de protection pour les plus vulnérables, et que ces mesures soient acceptées par l’Assemblée Nationale. Il est important que les Français se fassent entendre en ce sens.
Notes
1 Source : https://www.och.fr/loi-fin-de-vie-les-eligibles-entrent-en-resistance/
2 Source : https://informations.handicap.fr/a-aide-a-mourir-des-personnes-handicapees-alertent-38083.php