Vote sur la fin de vie : « Pourquoi tout était écrit d’avance »
Article du Figaro du 21/2/2023 par Damien Le Guay :
La convention citoyenne sur la fin de vie vient de se prononcer majoritairement en faveur du suicide assisté et de l’euthanasie. Selon le philosophe Damien Le Guay, cette décision est tout sauf surprenante au vu de la méthode, contestable, employée pour organiser cette réflexion.
Damien Le Guay est philosophe, spécialiste des questions éthiques. Il a notamment publié «Quand l’euthanasie sera là» (ed. Salvator, 2022).
Une étape importante vient d’être franchie. Cette convention citoyenne réunie depuis des mois vient de voter, dimanche 19 février 2023, en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté. Il lui reste encore du travail à faire pour finaliser les propositions, mais, à l’heure actuelle, ce que l’on pouvait craindre, quant aux orientations de cette convention, est apparu au grand jour.
On pourrait s’arrêter là et attendre la suite. Mais revenons sur les conditions du vote de cette Convention qui devait être un modèle de démocratie participative.
A priori tout est clair au vu des chiffres et des pourcentages. En réalité, tout est plus compliqué quand on examine les conditions du vote de dimanche. Examinons cela d’un peu près. « Le diable se cache dans les détails » ne dit-on pas !
La veille, samedi, sur les soins palliatifs, quarante et une questions avaient été posées à cette même convention. Les questions étaient simples. Il fallait répondre par oui et par non. Le soutien massif aux soins palliatifs est évident, franc et sans retenue, avec une demande de renforcement des moyens, de la formation et d’offre palliative sur tout le territoire.
Il était indiqué qu’une majorité des 2/3 était nécessaire pour retenir une idée comme étant une «idée forte». Là, dimanche, sur ce double vote, relatif au suicide assisté et à l’euthanasie, les conditions du vote étaient étranges, pour ne pas dire orientées, avec des questions bizarrement posées et des alternatives entre deux réponses posées qui n’en étaient pas. La condition des 2/3 n’était pas indiquée.
Précisons d’abord que pour le suicide assisté, quatre questions étaient posées, et cinq pour l’euthanasie, quand elles étaient quarante et une pour les soins palliatifs, la veille. D’autre part, sur la question du suicide assisté, une majorité semble claire. 72% favorables à un accès au suicide assisté. Quant à l’euthanasie, une majorité se dégage (65%). Mais elle n’est pas suffisante pour atteindre la majorité des 2/3. Selon les critères du vote de la veille, on peut comprendre que la Convention est favorable au suicide assisté et non à l’euthanasie.
Mais le plus étrange tenait aux questions qui visaient à préciser les conditions des deux modalités de «l’aide active à mourir» – terme répété à chaque question, ce qui déjà est une manière de rendre plus «sympathique» la démarche. Ces questions étaient si contraintes, avec des alternatives si étranges, que de nombreux membres de la convention, en les découvrant, s’en sont publiquement étonnés.
« Mais un vote pour l’abstention n’est pas un vote défavorable aux alternatives d’avant», a demandé l’un d’entre eux. «Si, si, les « non » et les abstentions sont la même chose», fut-il alors précisé. Ainsi, pour la première question relative aux modalités du suicide assisté, il était question des mineurs et des majeurs. Il ne s’agissait pas de savoir si les «citoyens» de la convention étaient pour ou contre les mineurs pouvant «bénéficier» d’un suicide assisté, et ce dans quelle proportion, mais de savoir, dans un seul vote, s’ils étaient «pour les majeurs», ou «pour les mineurs et les majeurs» ou abstention.
Donc ils ne pouvaient être que pour l’une ou l’autre des alternatives, sauf à voter «abstention». Une même question, formulée de la même manière, fut posée pour «l’euthanasie». Étrange manière de poser les questions.
Idem pour le court terme ou le moyen terme. Sur cette question, pire encore : il était demandé, pour le suicide assisté, si les citoyens étaient pour le court terme et ce pour les personnes atteintes de maladies incurable, ayant des souffrances réfractaires et dont le processus vital est engagé à court terme. Sinon, que pensaient-ils, avec les mêmes conditions sur «pas le court terme», sinon «abstention» !
Chacune des conditions compactées dans la question aurait mérité une question. Une question sur les «souffrances réfractaires» et une autre sur «les maladies incurables». Non. Ces questions-là ne furent pas posées séparément. Tout cela est assez hallucinant. La convention a fini par apprendre, au fur et à mesure, des distinctions nécessaires, des situations différentes, des conditions cumulatives ou non. Ces «citoyens» sont un peu entrés dans la complexité.
Et au moment de voter, des questions contraintes et ramasse tout surgissent avec des alternatives qui n’en sont pas, comme si la complexité était refusée et une compréhension fine de leurs opinions était impossible. Il en fut de même pour les «conditions» d’accès aux deux solutions débattues. Les citoyens ont approuvé avec une grande majorité, dans les deux cas, qu’il fallait des «conditions». «Mais, pourquoi ne pas débattre sur ces conditions ?», a-t-il été demandé. «On verra ça plus tard», a-t-il été répondu.
Or, là aussi : déni de démocratie participative. Est-on dans une «exception d’euthanasie » ou une «euthanasie avec des conditions larges» ? Cette question n’a pas été posée. Pourquoi ? Étrange quand même ! Car, sur ces questions d’éthique médicales, tout est non pas dans les principes généraux mais dans les modalités particulières d’application. Or, le vote sur la soi-disant «aide active à mourir» est resté sur les principes, alors qu’il était, la veille, pour les soins palliatifs, sur les modalités particulières.
Pourquoi une telle disproportion ? Pourquoi un vote bâclé sur «l’aide active à mourir» et un autre fouillé, précis, intéressant pour tout le monde, sur les soins palliatifs ? Pourquoi ? C’est à n’y rien comprendre ! Le brouhaha du second vote et la perplexité des citoyens en découvrant les questions posées interrogent. S’agit-il d’un amateurisme des organisateurs ou d’une peur de ces derniers quant à des précisions demandées qui auraient pu vider de leurs substances des orientations générales favorables au suicide assisté ou à l’euthanasie ? La question mérite d’être posée.
Quoi qu’il en soit, les organisateurs n’en sortent pas grandis. On pourrait même reprendre bien des séances de présentation des mois précédents et s’interroger. Pourquoi avoir débuté la convention par une présentation du modèle belge et du suicide assisté en Suisse par des promoteurs de ces deux systèmes, sans débats, sans contradictions possibles ?
Pourquoi avoir fait une table ronde pour toutes les religions, considérant que plus de 60 % des Français disent en avoir une, et une autre, de même durée, pour les loges franc-maçonnes qui revendiquent quelques petits pourcentages des Français ? Ah oui, j’oubliais, les religions sont contre l’euthanasie et le suicide assisté, quand les francs-maçons sont pour et militent activement pour ! Suis-je bête !
On a comme l’impression qu’il fallait un accord de principe à tout prix. Et qu’il le fallait maintenant, et non un peu plus tard, quand tout le monde aurait mieux réfléchi sur les questions. Pourquoi une telle précipitation ? Y a-t-il un calendrier secret qui passe le relais d’un organisme à l’autre avant que d’ouvrir une porte au gouvernement puis à l’Assemblée nationale ? Le CCNE, puis la convention, puis l’Assemblée et la commission Falorni, puis le gouvernement puis un vote à l’Assemblée.
Est-ce à dire qu’il ne fallait pas perdre trop de temps avec la Convention pour passer le relais à d’autres ? Sans doute. Est-ce à dire qu’il est préférable de reprendre la main avant de laisser cette démocratie participative entrer plus avant, encore plus, dans la complexité des sujets ? Il faut dire qu’un large vote en faveur des soins palliatifs n’engage pas trop – alors qu’il le faudrait.
Cela fait des années que l’ambition politique en faveur des soins palliatifs est grande, et, en bout de course, les moyens faibles. Alors, un vote en faveur de l’euthanasie, comme une vanne qui s’ouvre après celle du CCNE et avant celle de l’Assemblée, est «nécessaire» pour aller de l’avant dans la logique du gouvernement qui a lancé le mouvement en septembre.
Et puis, étrangement, dans les votes du dimanche 19 février, rien sur ceux qui auraient à pratiquer ces deux gestes. Rien sur la clause de conscience des soignants qui refuseraient de pratiquer l’euthanasie. Rien sur l’hôpital qui serait, ou non, le lieu approprié, ou non, pour mettre en œuvre ces gestes mortels. Rien. Et on comprend pourquoi ! Là est le nœud du débat. Là est le cœur du sujet.
Un texte vient d’être signé, il y a quelques jours, par treize organisations de terrain, dont celle les infirmiers, les soins palliatifs, les gériatres, les soignants du cancer, qui refusent l’euthanasie et disent, clairement, qu’ils n’en veulent pas, ni pour eux, ni pour leurs malades. De combien de soignants est-il question ? 800.000. Ces organisations représentent 800.000 intervenants de terrains.
Alors, dans ces conditions, on peut prendre le sujet de tous les côtés possible, comment appliquer des solutions létales sur le terrain quand ceux qui sont sur le terrain n’en veulent pas ? Comment ? Tout est là. Alors, mieux vaut, en effet, comme le fit la convention, en rester aux principes généraux sans modalités pratiques, quand on sait que les dites modalités pratiques sont impossibles en l’état actuel des choses. Faut-il changer les 800.000 soignants ? Faut-il les rééduquer, les contraindre, leur imposer une solution sous peine de renvoi ? Comment faire ?
Cette quadrature du cercle est présente dans l’esprit des organisateurs de la convention qui ont préféré rester dans les cieux éthérés des «libertés à gagner» et des «nouveaux droits à promouvoir» (pour reprendre la terminologie de l’ADMD) de peur d’entrer dans des contradictions impossibles à résoudre. Tel est le fin mot de ces votes à la va-vite de la convention citoyenne.
Reste maintenant aux politiques de se dépatouiller avec ces demandes impossibles et ce refus calme mais déterminé des professionnels de terrain. Voudront-ils passer en force, ou trouver une solution de compromis ? Nous le verrons bien. Quoi qu’il ne soit, désormais, loin d’un débat «apaisé» selon la volonté du gouvernement, nous allons entrer dans un rapport de force plus rugueux.
Je suis effrayée et désolée par ce type de gouvernance méprisante,
violente pour nos valeurs, pour notre culture,