« J’ai voulu prêter mon corps » : les désillusions d’une mère porteuse privée de son enfant après une « GPA altruiste »
RENCONTRE – En 2020, Julie a mis au monde un fils qu’elle a confié à un couple d’hommes. Elle se bat aujourd’hui pour en récupérer la garde et fustige l’hypocrisie du droit français, qui interdit la pratique des mères porteuses mais garantit en réalité tous les droits aux « parents d’intention ».
C’est une chambre d’enfant semblable à toutes les autres : ici un petit lit, là quelques jouets, au fond une gigantesque girafe à bascule posée près d’un trampoline – quelle drôle d’idée, un trampoline dans un appartement, les voisins du dessous doivent apprécier. Les chats ont colonisé l’espace. Ils occupent le vide. Car les voisins peuvent dormir tranquillement : Renzzo*, le petit garçon dont nous visitons la chambre, n’y a encore jamais mis les pieds.
Julie*, sa mère, contemple la petite chaise vide en rêvant du jour où elle pourra enfin rentrer de l’école en tenant la main de son fils aîné. Lorsqu’il y a cinq ans elle l’a laissé quitter la maternité, où elle venait de le mettre au monde, dans les bras des deux hommes pour le compte desquels elle s’était engagée à porter un enfant, elle pensait qu’elle resterait pour toujours sa maman. Privée aujourd’hui de son fils, Julie a été reconnue suffisamment mère par les juges pour verser chaque mois 200 euros de pension alimentaire, mais pas assez tout de même pour obtenir le partage de la garde. Cette mère porteuse, qui a consenti jadis à faire une gestation pour autrui « altruiste », sans compensation monétaire, se bat aujourd’hui pour passer du temps avec l’enfant qu’elle ne s’est jamais résolu à abandonner.
Devant nous, Julie déballe des archives de documents qui établissent qu’elle est bien, légalement, la mère de son fils. « J’en suis la mère biologique puisque c’est mon enfant, la mère légale puisque je l’ai reconnu, et la mère d’intention, puisque j’ai ardemment désiré le porter et l’élever ! », s’exclame-t-elle.
À l’origine du projet parental atypique qui a mené à la naissance de son garçon, Julie retrace l’histoire d’un engagement militant dans lequel elle s’est progressivement jetée corps et âme. Une histoire de famille. Sa grand-mère « rocardiste, mais rocardiste des années 1960, quand Rocard était vraiment de gauche », avec une fibre anar et un peu écolo, lui transmet le goût de la justice. Un trouble du spectre autistique (Julie est atteinte du syndrome d’Asperger) attise selon elle son sentiment de révolte face aux inégalités.
Une fois étudiante, la future enseignante d’université se rapproche de la Ligue communiste révolutionnaire, assiste à la création du syndicat d’extrême gauche Solidaires-étudiant-e-s et s’investit dans les commissions en charge des droits des femmes et des personnes LGBT, davantage au début par intérêt pour le féminisme. Julie défile à la Gay Pride ; la jeune femme est « un peu extrémiste », aime « aller au bout des choses ». La loi Taubira ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe n’a pas encore été votée et l’empêchement de l’homoparentalité la scandalise. Julie a une idée : « Je voulais aider mon prochain, par générosité, comme on fait un don à la Banque alimentaire…, raconte-t-elle. J’ai voulu prêter mon corps à une cause qui me tenait à cœur. » Elle veut devenir mère porteuse pour un couple d’hommes désirant avoir un enfant.
L’idée est si absconse qu’elle la garde pour elle : « À qui aurais-je pu en parler ? » Tout au plus en glisse-t-elle un mot à sa mère, sans lui parler directement de son projet, pour avoir son avis sur la GPA. On est en 2018 : sur les devantures des libraires trône, tout sourire, le visage de Marc-Olivier Fogiel, qui vient de publier chez Grasset Qu’est-ce qu’elle a ma famille ? un récit intime aux allures de plaidoyer dans lequel l’animateur vedette raconte son bonheur familial après l’adoption, avec son mari, de jumelles nées par GPA aux États-Unis. « Ma mère avait lu le livre de Fogiel, elle trouvait ça émouvant et m’a dit que si la GPA était éthique, ça ne lui posait pas de souci », raconte Julie, qui fustige aujourd’hui « l’importance du soft power de ce genre de récits » où la GPA est présentée comme un conte de fées par ses promoteurs.
Inscrite sur un groupe Facebook dédié à l’homoparentalité, il lui suffit de liker le post publié par un couple d’hommes qui se confient sur leur envie de devenir parents pour que l’un des deux la contacte en retour sur Messenger, en mars 2019. Dès les premiers messages, Julie propose ses services, tout en indiquant qu’elle est autiste – mais les deux hommes n’en auront cure. Les trois se rencontrent quelques semaines plus tard, puis une seconde fois pour mettre en œuvre la conception de l’enfant. Julie surveille attentivement son cycle, prévient les deux hommes lorsqu’elle approche de l’ovulation. Le jour venu, les futurs papas accueillent Julie chez eux, l’installent à l’étage, puis l’un d’eux monte lui porter un petit bocal. Julie introduit le sperme du père biologique dans son utérus à l’aide d’une pipette de Doliprane pour bébé. Le premier essai échoue, le second, un mois plus tard, sera le bon : Julie est enceinte.
Aujourd’hui, Julie regrette de n’avoir rien contractualisé, de s’être abandonnée en toute confiance à ces deux hommes qu’elle a voulu aider. Dans leurs échanges, ils lui assurent pourtant qu’elle sera la bienvenue à la maison, qu’elle pourra venir aux anniversaires et voir son enfant quand elle voudra. William*, le père biologique, accompagne Julie aux échographies : commence alors un petit jeu de rôle auprès du personnel médical, des sages-femmes, des docteurs… dans lequel elle et lui jouent au vrai couple.
La comédie n’est pas toujours très convaincante : à un rendez-vous où Julie se rend seule, elle est incapable de répondre au médecin qui lui demande la taille du papa. En mairie, William fait une reconnaissance anticipée de paternité, comme si de rien n’était : à l’état civil, il est le père et elle, la mère. Mais la fin de la grossesse signe pour Julie le début des désillusions : enceinte de huit mois, elle s’étonne de n’être pas invitée pour Noël chez les deux futurs papas, devenus de plus en plus distants, mais qui, subitement quelques semaines avant la naissance, se mettent en revanche à l’assaillir de questions : quand va avoir lieu l’accouchement ? a-t-elle déjà des contractions ?
William la convainc même d’accepter sa présence dans la salle d’accouchement. « Je ne voulais pas qu’il me voie nue et dans cet état, moi je ne l’avais jamais vu nu ! » a-t-elle protesté, en vain. Marc*, le conjoint du père, attend dehors pendant ce temps. Peu avant la naissance, une sage-femme propose d’utiliser une ventouse : « William s’est levé avant même que je réponde et a dit non, indiquant qu’il préférait une césarienne, sans me demander mon avis ! Il prétendait contrôler mon corps ! », raconte avec colère Julie.
Elle aurait voulu rester une semaine entière à la maternité. « J’étais bien avec mon bébé, j’apprenais la géographie de son corps, je prenais en photo chaque détail de lui pour essayer de me reconnaître dans ses traits », se souvient-elle. Parfois, serrant son enfant contre elle, elle se prend à lui murmurer : « J’espère que tu m’aimeras quand même. » « C’était totalement contradictoire, dans ma tête. J’étais en vrac… »
Sur les sept jours qu’elle réclame, William et Marc n’en concèdent que trois. Puis au terme du délai accordé à la parturiente, ils s’en vont un beau matin avec Renzzo. Ils avaient promis à Julie, en remerciement, de lui offrir un voyage : ils ne lui en parleront plus jamais. Ils lui refont signe néanmoins trois semaines après, pour faire recopier à la mère une attestation manuscrite en prétextant une formalité pour rattacher Renzzo à la mutuelle de William : « Je renonce à mes droits sur l’enfant et j’en laisse la garde exclusive à son père », recopie docilement Julie sur une feuille volante. « J’étais en post-partum, je n’étais pas dans mon état normal et je ne me rendais pas compte de ce que je signais », plaide-t-elle aujourd’hui.
Trois ans plus tard, elle regrettera amèrement son erreur quand survient un drame inattendu au sein du couple qui élève son fils : William, le père de Renzzo, décède des suites d’un cancer que les deux hommes lui ont soigneusement dissimulé, et Renzzo est orphelin.
Avertie plusieurs jours après, Julie propose à Marc d’établir progressivement une garde alternée, pour ne pas brusquer l’enfant. Elle est désormais, biologiquement et légalement, le seul parent encore en vie de son fils, à qui elle a pu rendre visite une petite quinzaine de fois, tout en comprenant peu à peu que les deux hommes ne parlaient jamais d’elle à l’enfant.
Mais Marc a tout prévu. Il saisit la justice et obtient, sans que Julie ne soit d’abord auditionnée, une première ordonnance de placement provisoire par laquelle le procureur le désigne comme unique tiers de confiance : Renzzo continuera de vivre avec lui. L’ordonnance du juge ne décrit pas Julie comme la mère, mais comme la « génitrice ». « Je n’ai jamais rien lu d’aussi violent sur moi », déclare Julie d’une voix étranglée.
Deux mois plus tard, le juge des enfants confirme l’ordonnance provisoire qui place Renzzo chez le compagnon du père défunt plutôt que chez la mère, et affirme que Julie, comme mère porteuse, a été « candidate pour porter leur enfant » « À lire cela, on croirait que je les ai suppliés alors que ce sont eux qui m’ont démarchée ! » se défend-elle, indignée. « Et ce n’est pas “leur” enfant, c’est le mien et celui de William ! Je suis la mère quand il s’agit de payer une pension, mais je ne le suis plus quand il s’agit d’avoir l’autorité parentale, la garde ou même un droit de visite et d’hébergement », poursuit Julie. « Cette décision atteste de façon criante que le juge français reconnaît pleinement la gestation pour autrui et ses effets , alors même qu’elle est interdite en France », commente l’avocate de Julie, Me Adeline le Gouvello.
Une analyse que ne partage évidemment pas la défense de Marc : « Cette affaire n’a rien à voir avec la gestation pour autrui, qui n’est qu’un élément circonstanciel du dossier s’agace son avocate. Le juge a constaté que la mère ne s’est pas occupée de son enfant, peu importent les raisons. Le fond du dossier, c’est seulement le statut du beau-père. »
Si le juge concède un droit de visite et d’hébergement à Julie pour les seules vacances scolaires, elle en est immédiatement privée sur demande des services sociaux. Ceux-ci lui reprochent d’être dans un « état émotionnel fragile » pour avoir pleuré lors d’une réunion à l’évocation de son fils, et d’avoir exigé de récupérer le livret de famille, qui lui revient pourtant de droit en tant que seul parent en vie de Renzzo. Entre-temps, une procédure intentée par les services sociaux d’un autre département, pour faire condamner Marc pour « provocation à l’abandon d’enfant », a été classée sans suite, malgré les sanctions pénales prévues pour les parents ayant recours à la GPA sur le sol français.
Une mansuétude qui scandalise Me le Gouvello : « Le procureur a refusé d’engager des poursuites, car Julie a consenti d’elle-même à faire une GPA. Mais c’est le propre de la GPA que la mère soit consentante. Si l’enfant lui avait été retiré de force, ce ne serait plus de la “provocation à abandon d’enfant” (infraction pour la GPA) mais un “enlèvement d’enfant”, qui est un crime. » Et l’avocate de citer l’article 16-7 du code civil, qui prévoit justement que le consentement de la mère porteuse n’a aucun effet puisque « toute convention portant sur la gestation pour autrui est nulle ». Là encore, la partie adverse considère les choses autrement : « Il n’y a pas de reconnaissance jurisprudentielle de la GPA, la question posée est uniquement l’intérêt d’un enfant qui n’a jusqu’ici pas été élevé par sa mère » analyse l’avocate de Marc.
Enfin ce Noël, comme un « cadeau » empoisonné, Julie a reçu une nouvelle ordonnance du juge des enfants accordant au nouveau compagnon de Marc un droit de visite sur Renzzo, « dans le but de soutenir Monsieur B. dans la prise en charge de l’enfant ». Comme un statut accordé à un troisième papa.
Une éducatrice mandatée par le juge afin d’effectuer une enquête judiciaire éducative, qui a récemment rencontré Julie, lui a déclaré qu’en entendant son histoire, elle se disait qu’il faudrait autoriser la gestation pour autrui en France, afin de mieux l’encadrer. Julie s’est insurgée : « Il ne faut pas l’encadrer, il faut l’interdire pour de bon, et en finir avec cette situation juridique hypocrite où on prétend l’interdire tout en la reconnaissant dans les faits et en donnant tous les droits aux parents d’intention ! » Dans son esprit, cette situation se rapproche de celle qui vaut pour la prostitution. « Car en fait, c’est exactement ça : je me suis prostituée gratuitement. » Politiquement, Julie a pris ses distances avec les mouvements LGBT et condamne sans équivoque l’évolution récente des lois bioéthiques : « Pour moi, on ne devrait même jamais permettre de fabriquer un enfant avec les gamètes d’un inconnu… c’est dégueulasse, quand on y pense ! C’est injuste pour l’enfant de le priver volontairement de ses origines. »
*Tous les prénoms ont été modifiés.
1er février 2025 par Paul Sugy
Source : lefigaro.fr