Je parle d’IVG avec mon fils
LETTRE D’INFORMATION DU RÉSEAU VIE – AVRIL 2017
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Plan
A. C’est l’occasion de marquer le cap et de te parler de sexe, d’homme à homme.
B. En quoi ces questions de filles te concernent-t-elles ? J’y viens.
C. Avorter ou pas : ton avis ne compte pas
F. Tenir le cheval bien en bride
Michel Hermenjat est l’auteur de Cet enfant qui m’a manqué, parole d’homme face à l’avortement, paru en 2012 aux éditions Première Partie à Paris. Un des premiers ouvrages à aborder le vécu de l’IVG dans une perspective masculine. Il a retrouvé dans le récit biblique de nombreux passages qui font écho à la situation actuelle et pas seulement sur le plan moral.
Père de 5 enfants, il est actuellement chargé du développement de prestations alternatives en faveur de la maternité adolescente. Son deuxième livre, dédié à son action, Adonnaissance, ces jeunes qui donnent la vie en contrebande, paraîtra prochainement.
Mon fils,
Je profite de ton séjour linguistique à l’étranger pour t’écrire ce petit mot que tu pourras lire tranquillement. Tu en es à ta quinzième année, ta voix mue, tu prends de l’épaisseur et ton regard sur les filles est en train de changer. Je suis fier de toi et d’envisager ton avenir m’emplit de joie et d’espoir.
A. C’est l’occasion de marquer le cap et de te parler de sexe, d’homme à homme.
Tu es devenu fertile, c’est à dire que ton corps peut donner la vie. Les filles de ton âge en sont capables aussi, et même depuis un an ou deux avant toi. Certaines prennent la pilule pour avoir des relations sexuelles sans risque de tomber enceinte, encore que cette méthode connaisse des ratés. D’autres filles préfèrent attendre avant de penser à la contraception et d’autres choisiront d’autres méthodes, si possible sans chimie dont on connaît maintenant les effets indésirables.
B. En quoi ces questions de filles te concernent-t-elles ? J’y viens.
Tu vis dans une drôle d’époque où vous les jeunes hommes avez été largement mis de côté, non pas en ce qui concerne le sexe, mais pour tout ce qui concerne votre capacité à donner la vie. De nos jours, ce sont les femmes qui décident de la suite à donner lorsqu’une grossesse s’annonce. C’est à elles seules de « décider » de poursuivre ou d’interrompre. Et en parlant « des femmes » je ne parle pas seulement de ta copine éventuelle, mais aussi de sa mère et des belles-mères en général. C’est même surtout d’elles dont je parle, car c’est sûr qu’elles interviendront si ta copine tombe enceinte, d’autant plus si vous êtes encore mineurs. Il te faudra en plus affronter l’assistante sociale du planning ou l’infirmière scolaire qui « décideront » sans toi, surtout si ta copine ne veut pas en parler à ses parents. Car, c’est son droit légal, même si elle est mineure. C’est comme ça aujourd’hui. Il te faut bien comprendre que si tu as des relations sexuelles avec une fille de ton âge et que cette dernière tombe enceinte ton avis ne va pas peser lourd.
C. Avorter ou pas : ton avis ne compte pas
Tout autour de toi, on te fera bien comprendre que « c’est son corps à elle », et que ton avis ne compte pas.
Ne fais pas comme moi, ne tombe pas dans le piège. Cela peut te faire très mal.
Comme tu le sais déjà, j’ai moi-même subi cette forme de violence, lorsque maman est tombée enceinte alors que nous étions étudiants : j’ai été proprement écarté de la décision qui a mené à une interruption de grossesse. Ensuite, cela m’a pris près de 20 ans pour admettre que j’étais concerné par cette histoire et que ma légitimité et ma dignité de père avaient été bafouées. Il m’a fallu 20 ans pour reconnaître un sentiment d’impuissance de deuil larvé tout au fond de moi. Ce triste épisode m’a profondément blessé dans mon rôle de futur père.
Avec maman, nous en avons déjà parlé avec toi et ta sœur. Surtout nous vous avons demandé pardon de ne pas avoir su mieux nous battre pour défendre cet enfant qui aurait du naître avant vous. Il manquera toujours à notre famille. Le plus étonnant est que maman et moi soyons restés ensemble ensuite. Statistiquement, j’aurais dû la laisser tomber dans les mois suivants. Très peu de couples survivent après l’avortement et les rares qui restent ensemble peinent à en parler, surtout à leurs enfants nés vivants. Mais nous avons choisi de rompre le silence envers vous et de prendre nos responsabilités. Merci encore d’avoir accepté de nous pardonner.
D. Un système paradoxal
Mais revenons à toi.
Si ce n’était pas simple pour maman et moi à l’époque, c’est devenu encore plus compliqué pour vous, les jeunes d’aujourd’hui. Ce système dans lequel tu grandis est devenu complètement paradoxal. Il craint un max… D’un côté, la voix d’un certain féminisme estime qu’un début d’une grossesse ne te concerne pas, c’est sa prérogative. Et de l’autre côté, beaucoup de femmes nous reprochent de «les laisser tomber», d’avoir à assumer toutes seules leur grossesse. On dit aux mecs de passer leur chemin, ensuite on leur reproche de ne pas avoir été là. Il faudrait savoir à la fin.
C’est un cercle vicieux.
Il y a un immense malentendu entre les hommes et les femmes d’aujourd’hui. Car les filles réclament des mecs, des vrais. Elles connaissent notre nature, d’abord des chasseurs et ensuite des châtelains protecteurs de leurs femmes et de leurs enfants. Donc, quand les femmes décident seules de la poursuite d’une grossesse ou non, en fait, elles décident si les mecs deviendront papas ou pas. Elles réclament des mecs tout en choisissant pour eux en ce qui concerne leur paternité. C’est comme demander à un lion de devenir un bon gros chat géant. Apprivoiser un lion c’est possible et c’est sans doute agréable à caresser. On se sent surtout protégé auprès d’un lion. Mais un lion apprivoisé, ne sera jamais un chat domestique géant.
S’il n’est décidément pas facile de devenir un mec dans ce système, c’est sans doute aussi plus difficile de devenir mère pour une jeune fille. Du coup personne ne peut être satisfait ni rassuré. Je ne sais pas comment nous allons sortir de là.
E. Revenir au machisme ?
En tout cas, il ne s’agit pas de revenir au machisme.
À l’époque de nos ancêtres romains, tu sais Gladiator, Ben Hur et les autres, c’était l’inverse. Ce sont les pères qui décidaient. Sais-tu que le droit romain donnait aux pères le droit de vie ou de mort sur leurs enfants et même sur leurs femmes ? Les femmes n’avaient rien à dire. D’une certaine façon les rôles se sont inversés. Ce sont les futurs pères d’aujourd’hui qui n’ont rien à dire. Il n’y pas d’issue dans les 2 cas. Il faut que l’on réapprenne à se parler entre homme et femme.
La sexualité c’est puissant.
Je te parle de l’acte sexuel dont tu es toi-même un beau fruit, mon grand ! Il mérite toute notre estime, car c’est une des plus belles choses de la vie. Il y a là bien plus que de la gymnastique suédoise, c’est un mystère à découvrir constamment, dans sa perspective sacrée et la transmission de la vie. Mais tout cela, je pense que tu le sais déjà.
F. Tenir le cheval bien en bride.
Sauf qu’il y a la puissance des hormones et la difficile maîtrise de ses émotions. Tu pourras te réveiller un beau matin avec une flèche dans le cœur – tu sais, Cupidon… Ensuite, dans le feu de l’action, après un film romantique ou après le sauna ou dans un bungalow de vacances sous les palmiers, on peut aussi se retrouver en un rien de temps dans une étreinte passionnée, à l’insu de son plein gré, comme disait Richard Virenque.
Bon, bref, tu vois le tableau. Donc, prépare toi aussi pour limiter les prises de risque.
C’est une bonne occasion de grandir en sagesse. Il y a aussi toutes sortes de chantages possibles pour obtenir les faveurs d’une fille : « Si tu m’aimes vraiment, alors prouve-le moi de tout ton cœur et de tout ton corps. »… S’il te plaît ne joue pas avec ça.
G. T’asseoir avec elle.
C’est donc bien à froid que je t’invite à t’asseoir sur un banc avec la fille que tu commences à aimer, à parler, échanger ensemble à chaque étape. Dès que tu te sentiras bien à l’aise dans une relation, dès que tu auras envie d’aller plus loin, aborde ces sujets.
Comme « les amoureux sur un banc public » de Brassens, parlez de vos futurs enfants. Cela vous ouvrira des portes sur votre façon d’envisager votre avenir à deux et de vous mettre d’accord. Ensuite, demandez-vous ce que vous ferez ensemble si elle tombe enceinte. C’est la chose la plus importante que je veux te communiquer aujourd’hui : anticiper sur cette question avant d’entamer une relation sexuelle. Que fait-on en cas de grossesse ?
Si vous ne répondez pas à cette question vous-mêmes, en vous mettant soigneusement en accord, alors c’est simplement les autres, le système qui va décider pour vous ; vous subirez son verdict sur votre capacité et votre légitimité à transmettre la vie. Pas cool.
Cela fait beaucoup de questions à se poser « avant », mais c’est mettre toutes les chances de votre côté pour assurer la suite de votre histoire en couple.
L’idéal, c’est encore d’attendre d’être prêts tous les deux.
Prenez le temps de devenir complices, pour mieux faire alliance. Cela s’appelle la chasteté et c’est ainsi que, dans la plupart des cultures, l’humanité a fonctionné. C’est clair qu’il n’y avait pas cette période dite de l’adolescence qui s’éternise, où l’on peut bénéficier de tous les avantages de la sexualité sans en assumer les responsabilités. Tout à fait entre nous, mon grand, c’est nul, ce n’est pas normal. Pire, ce n’est pas très sain du tout et je te le dis encore : tu mérites mieux que ça, et si tu devenais papa très jeune, ce ne serait pas une catastrophe. Tu devrais simplement mûrir plus vite et tu pourrais toujours compter sur moi. De toute façon, à tout âge, devenir père c’est compliqué. On n’est jamais prêt. Ça s’apprend sur le tas.
Et si tu dois passer par la case « grossesse non désirée », sois prêt à prendre tes responsabilités, dis-le, rassure ta compagne. Sinon, on te demandera, au mieux, de la « soutenir », c’est-à-dire d’être spectateur d’un mauvais film de quelques semaines avec un scénario que tu auras signé avec ton sperme sans vraiment le lire. Tout le monde sera sous une immense pression, elle plus que tous. Mais sois bien persuadé que ta parole dite « avant » comptera pour elle. Si ta compagne sait que tu veux te battre pour vos enfants dès qu’ils s’annoncent, même dans des conditions compliquées, elle saura que tu veux être un lion.
Si un mec ne sait pas s’occuper de sa famille, alors il ne sait s’occuper de rien, fondamentalement, il n’est pas crédible. La vraie masculinité, c’est d’assurer l’accueil inconditionnel des ses enfants et la sécurité pour sa femme. C’est là, dans ce choix déterminé, que l’homme se révèle et s’accomplit.
Mon grand, je fais confiance : ton intelligence et ton cœur te diront la valeur de ta capacité de transmettre la vie. Et moi, je me réjouirai d’être grand père dans tous les cas de figure.
Papa
Signé : Michel Hermenjat, socio-pédagogue, avec Joël Reymond, journaliste.
La lettre ci-dessous a été envoyée à nos abonnés sous forme de livret A4 à visionner au format PDF.