L’objection de conscience

Table des matières
Introduction
La thèse
Textes légaux
I – Principes généraux
II – Règlements spécifiques au début de la vie
III – Fin de vie
Mettre en œuvre l’objection de conscience
A – Textes sur lesquels s’appuyer
B – Degrés de responsabilité
C – Conditions pratiques d’exercice de l’objection de conscience

Objection de Conscience : refus, pour un individu ou un groupe, d’obéir à une loi ou un règlement adopté par la majorité des citoyens, ou imposé par un gouvernement, et ce au nom d’une exigence supérieure, qu’il perçoit dans sa conscience.

Clause de Conscience : cadre légal prévu pour l’exercice de ce refus ; c’est la traduction dans une législation nationale du principe 18 de la DUDH ou 9 de la CEDH.

« Lorsqu’on choisit une action morale ou immorale, on choisit aussi de devenir un certain type de personne ».

Introduction

On trouvera ici un condensé de ce qu’il peut être utile de connaître concernant l’objection de conscience, plus spécifiquement dans le cadre médical de plus en plus vigoureusement sollicité.

Ce résumé repose essentiellement sur trois documents :

1. La thèse d’exercice de médecine de Marthe Salmon et Marguerite Barrois-Muller (13 juin 2017, Université Claude Bernard, Lyon1)

2. L’étude des textes législatifs français et internationaux par Adeline Le Gouvello (avocate au barreau de Versailles)

3. Des références complémentaires, synthétisées dans l’ouvrage de Jacques Suaudeau, L’objection de conscience.

On peut souligner l’apport novateur des deux jeunes médecins : après avoir mis en lumière les logiques antagonistes d’exercice pour un médecin généraliste, et défini proprement les termes du sujet, elles poussent la réflexion dans son application quotidienne à travers l’expérience, ou la perception du problème, d’un échantillon de médecins aux positions variées : c’est l’objet d’une enquête effectuée dans ce cadre ; l’analyse qu’elles en font s’efforce de mettre en lumière les tendances ou questionnements qui s’en dégagent.

L’étude législative fournit une synthèse précieuse aux professionnels de santé ; ceux qui peuvent être confrontés à ces questions redoutables y trouveront les références dont ils ont besoin.

Enfin le complément propose un cadre de discernement et des références dont l’autorité est indiscutable. Sont également prises en compte les nuances et contraintes qui excluent une application mécanique de principes généraux.

Reste à l’intéressé le choix final ; celui de l’objection de conscience ne doit jamais être pris en solitaire ; on trouvera également en annexe des contacts utiles.

La thèse

Il s’agit d’une thèse d’exercice de médecine, qui s’intéresse donc naturellement plus spécifiquement aux médecins, en particulier généralistes. Pour autant cette étude est assez générale pour concerner plus largement l’ensemble des professionnels de santé.

Les auteurs isolent clairement deux points de friction :

1. l’opposition entre deux courants : les partisans et les opposants à la clause de conscience ; entre la liberté de conscience du médecin et les droits du patient ;

2. une vision littérale, contractuelle, du droit dans une optique anglo-saxonne et une lecture traditionnelle qui s’intéresse à l’esprit, la finalité recherchée par le législateur, plus européenne ou méditerranéenne ; entre un médecin « prestataire de service » indifférent au sort du patient consommateur de soins, et le devoir du médecin d’exercer sa profession avec conscience et dignité.

La thèse débute par le rappel du principe général (L-1110-3 du CSP, et article 47 du code de déontologie médicale) :

« Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. »

Est rappelé également le rapport du Conseil National de l’Ordre, spécifique à cette thématique, et le rappel du Serment de Genève de l’Association Médicale Mondiale : « J’exercerai ma profession avec conscience et dignité, dans le respect des bonnes pratiques médicales ».

Les articles réglementaires significatifs seront précisés dans la deuxième partie.

Les auteurs poursuivent leur réflexion en précisant les termes couramment invoqués, résumés ici :

1. morale : nous définirons la morale comme un ensemble de normes permettant d’évaluer ce qu’il est bien ou mal de faire et auquel il faudrait se conformer

2. éthique : [confrontation des] valeurs morales et [des] principes moraux afin de définir la conduite la plus appropriée et d’orienter l’action en vue du Bien

3. déontologie médicale : […] ensemble de devoirs et de normes morales professionnelles […] que doit respecter le médecin dans l’exercice de la profession médicale […]

4. droit : […] le droit a donc pour finalité l’ordre de la société et non le bien agir, il est au service du « juste ».

Elles développent ensuite ce qui est de l’ordre de la conscience :

1. Approche de la notion de conscience : il est de [la] responsabilité [de l’Homme] [d’]écouter et éclairer [sa conscience] ; […] la conscience morale est un jugement de l’intelligence qui intime à l’Homme ce qu’il doit faire ou ne pas faire par rapport à la visée du bien, qu’elle cherche à connaître en vérité.

2. Mécanisme de la conscience morale et processus de la prise de décision : la conscience […] est la mise en œuvre de la raison pratique [dans] l’élaboration d’un jugement ; la prise de décision met donc en œuvre l’intelligence puis la volonté, et à travers la volonté, le libre arbitre […].

3. Application en médecine : les médecins […] ont tout particulièrement le devoir d’exercer leur profession avec conscience ; une situation d’objection de conscience place le médecin face à […] un conflit entre la loi et la conscience, l’autorité et la liberté.

4. Objection de conscience : […] l’objection de conscience fondée sur une conviction de nature morale s’exerce donc au titre de l’intelligence et non pas de la croyance, elle ne relève pas d’un acte de foi mais d’un acte moral et réfléchi, basé sur la raison.

Les auteurs de la thèse précisent ensuite avec rigueur et clarté la méthodologie de leur enquête et ses limites, avant d’en exposer les résultats bruts. Nous retiendrons ici l’analyse qu’elles en font dont voici les points saillants :

a) responsabilité du médecin envers le patient

1. i) l’autonomie du patient doit être respectée : c’est au patient de faire ses choix, le médecin s’assure qu’il prend sa décision librement et en conscience ; à cet effet, il fournit au patient une information claire, loyale et adaptée

2. ii) l’engagement moral du médecin est d’accompagner le patient sans le juger [sa décision autonome lui appartient] et d’assurer la continuité des soins par son orientation et le transfert des informations nécessaires

[Avec ici un débat nuancé sur la coopération active à trouver un médecin pratiquant un acte jugé immoral, qui relèverait de la complicité ; la difficulté est d’apprécier le degré d’implication ; certains médecins s’en sortent, dans le cas de l’avortement, en fournissant une liste de confrères pratiquant l’acte, mais dont ils savent que certains y sont réticents et s’efforcent de raisonner le patient]

b) responsabilité du médecin envers la société

Il est important ici de distinguer l’engagement de la société (par le législateur) à fournir un accès aux soins à tous, qui n’est pas l’engagement de chaque médecin individuellement : tous les médecins ne réalisent pas tous les actes [ne serait-ce que par compétence professionnelle] et chaque médecin conserve son indépendance professionnelle [le législateur ne peut pas se défausser sur le médecin de ses engagements moraux] ; la responsabilité du médecin envers la société consiste, en dehors des « cas d’urgence ou obligation humaine » du principe général, à répondre de la démarche intellectuelle à l’origine d’une décision de refus, et assurer la continuité des soins comme défini plus haut.

Par ailleurs le patient doit être prêt à accepter des contraintes

[par exemple l’isolement géographique n’impose pas une
disponibilité H24-7/7 humainement intenable ; l’opposition
apparente entre « éthique de conviction » et « éthique de
responsabilité » est due au défaut inhérent à l’approche
kantienne, elle sera levée dans la troisième partie]

c) autonomie du médecin

C’est sur ce point que se cristallise l’antagonisme irréductible des deux approches : médecin prestataire de service, soumis à la volonté du patient [vision anglo-saxonne issue d’une lecture contractuelle, littérale, du droit] ; ou rencontre d’une confiance avec une conscience où le droit à l’autonomie du patient ne doit pas entraîner le sacrifice du droit symétrique du médecin.

3. i- l’acte médical est à la fois engagement professionnel et personnel ; le respect du patient n’induit pas la perte du respect symétrique

4. ii- [Comme le pointent certains auteurs] il existe une contradiction […] entre le fait de demander aux professionnels de santé d’agir avec conscience et leur demander de l’ignorer dans d’autres moments, afin de les faire adhérer aux tâches auxquelles ils objectent

5. iii- [les conséquences d’une contrainte sur le médecin font l’objet de nombreuses études :] souffrance morale et burnout ; défaut de qualité des actes contraints ; changement de profession du médecin

6. iv- sur le plan légal le procès de Nuremberg (1947) impose à une personne de refuser un commandement jugé injuste par la conscience

d) professionnalisme du médecin

C’est également un point d’affrontement, certaines conceptions étendant ce professionnalisme à la neutralité morale du médecin [à rebours de Nuremberg…] : on retrouve l’approche anglo-saxonne, où le droit du patient prime sur le droit du médecin

[résumé par G. Orwell : certains sont plus égaux que les autres.]

D’autres auteurs réfutent cet élargissement et soutiennent que le refus d’un médecin d’exécuter, pour des raisons éthiques et religieuses, certains actes qui sont commandés ou tolérés par les autorités, est un acte d’une grande dignité éthique lorsque les raisons données par le médecin sont sérieuses, sincères et constantes, et se réfèrent à des sujets graves et fondamentaux.

On peut mentionner que la difficulté transparaît dans l’enquête de la thèse, avec des réponses contradictoires de certains médecins qui par exemple, défendent la première vision mais considèrent comme non éthique d’être forcé de réaliser un acte contre ses convictions personnelles. Pour résumer :

i- la neutralité des valeurs est impossible : un médecin n’est pas une machine [il n’entre pas dans les capacités d’une personne d’ignorer ce qu’elle est, de s’amputer d’une partie de ses propres composantes, y compris morale et spirituelle]

ii- les patients et la société gagnent à avoir des praticiens aux approches différentes ; il est bon qu’il n’y ait pas une pensée unique dans le corps médical ; chaque individu est un membre de la société doté d’une conscience

iii- le médecin ne manque pas à ses devoirs s’il informe et réfère le patient (en dehors de tout contexte d’urgence)

iv- le médecin a parfois une obligation déontologique à fournir un acte qui va à l’encontre de ses convictions personnelles [position exprimée à la quasi-unanimité des médecins objecteurs également]

L’un des auteurs propose un compromis conventionnel : « un médecin / pharmacien qui a une objection morale sérieuse à fournir un service/produit à un patient/client n’est pas tenu de le faire, uniquement si les trois conditions suivantes sont remplies : 1. Le médecin/pharmacien informe le patient/client sur le service/produit si celui-ci est médicalement pertinent à sa condition médicale. 2. Le médecin/pharmacien renvoie le patient/client à un autre professionnel disposé et capable de fournir le service/produit. 3. Le renvoi n’impose pas un fardeau déraisonnable au patient/client. »

L’obligation d’une objection morale sérieuse est déterminante ; c’est ce que souligne la Cour Européenne qui juge que l’objection doit résulter d’un conflit grave et insurmontable et revêtir les caractères d’une conviction atteignant un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance pour entraîner l’application des garanties de l’article 9. Le troisième point reprend cet aspect.

En prolongement de la thèse les auteurs proposent la réflexion d’un médecin interrogé dans l’étude : « si un jour en France, l’accès à un acte médical était compromis par l’objection de conscience d’une majorité de médecins, plutôt que de forcer les médecins objecteurs, il serait important d’orienter le débat pour comprendre les causes de ce refus et s’interroger sur la légitimité de cet acte »

Textes légaux

Ce résumé ne rend pas justice de la synthèse très complète élaborée par A. Le Gouvello. L’idée directrice de l’article est de mettre à disposition des professionnels de santé, susceptibles d’être concernés, un outil pratique doté des références utiles. Tous les articles se réfèrent, sauf exception précisée, au Code de la Santé Publique (CSP) : l’annexe donne les liens pour télécharger le CSP ou obtenir rapidement les textes des articles.

La marge de manœuvre est parfois large au moins théoriquement, souvent très étroite ; mais il ne faut pas négliger le devoir d’information qui met entre les mains du praticien un atout très puissant, à partir des risques pour la santé ou les conséquences périphériques ultérieures ; une information personnelle préalable, à partir de l’abondante littérature dans ce domaine, est néanmoins recommandée.

I – Principes généraux

On retrouve l’art.10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946, repris et confirmé dans la Constitution Française en vigueur, art.1, et réaffirmé dans la décision 2001-446 DC du Conseil Constitutionnel : c’est l’affirmation de la liberté de conscience.

Au niveau international ce principe est repris dans l’art.18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (DUDH), l’art.9 de la Convention européenne des droits de l’homme, confirmé par la Cour européenne des droits de l’homme.

Pour les professionnels de santé en général, c’est l’article L1110-3 du CSP, cité plus haut.

De façon plus spécifique :

1. Médecins, sages-femmes et odontologistes : art. L4111-1 à L4163-10

2. Pharmaciens (préparateurs en pharmacie, préparateurs en pharmacie hospitalière, physiciens médicaux) : art. 4211-1 à 4252-3

3. Auxiliaires médicaux (infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, ergothérapeutes et psychomotriciens, orthophonistes et orthoptistes, manipulateurs d’électroradiologie médicale et techniciens de laboratoire médical, audioprothésistes, opticiens-lunetiers, prothésistes et orthésistes, diététiciens), aides-soignants, auxiliaires de puériculture et ambulanciers : art. 4311-1 à 4394-3

Dans le contexte particulier des actes qui attentent à la vie (avortement, euthanasie, destruction d’embryons humains), le droit à l’objection de conscience a été réaffirmé par une résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en 2010.

a) médecins

L’article R4127-47 du CSP est le guide : l’objection de conscience n’est pas possible dans l’urgence, ni s’il s’agit d’un manquement aux devoirs d’humanité, et le médecin n’a en aucun cas le droit d’abandonner le patient en cours de traitement (sauf force majeure). L’article 223-6 alinéa 2 du code pénal définit le refus de soin à une personne en péril. Ces considérations rejoignent le simple bon sens, elles sont rappelées pour mémoire.

L’article L.2123-1 concerne le refus de stérilisation, L.2212-8 l’avortement et L.2151-7-1 la recherche sur l’embryon.

b) pharmaciens

Une clause de conscience spécifique leur a été refusée en 2016 mais ils bénéficient de l’article général initial L1110-3. L’article R.4235-2 accorde une légère marge de manœuvre mais plus loin le même article (R.4235-48) le considère explicitement comme un exécutant ; il a par contre un devoir d’information et de conseil, ce qui inclut naturellement de présenter les risques…

c) sages-femmes

Dans ce domaine l’article R.4127-312 accorde une certaine liberté à la sage-femme : la sage-femme est libre dans ses prescriptions dans les limites fixées par l’article L.4151-4 ; R4127-328 décline le principe général dans son cas particulier, et les conditions pour se dégager de sa mission ; L2212-8 la protège spécifiquement pour l’IVG et précise le cadre.

d) infirmiers

L’article général initial se décline en R4312-12 pour les soins infirmiers ; à l’instar de la sage-femme, l’infirmier est protégé par L2212-8 dans le cadre de l’IVG.

II – Règlements spécifiques au début de la vie

a) interventions en vue d’entraver une naissance

1. Contraception : pas de clause de conscience ; certains précédents (CA Paris n° 93/03941) sont fragiles, au regard de l’évolution des textes et d’autres décisions clairement contraignantes ;

2. Stérilisation : réglementée par L2123-1 : …ne peut être pratiquée sur une personne mineure… [nécessite] un délai de réflexion de 4 mois… ; le médecin peut refuser mais doit en informer la patiente dès la première consultation ;

3. Avortement : articles L2211-1 à L2212-11, en particulier L2212-8 déjà cité : un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer [une IVG] mais doit informer sans délai la patiente… ; noter que la liste des auxiliaires médicaux (…aucun auxiliaire médical… n’est tenu de concourir à [une IVG]) précisée par L4311-1 à L4372-2 ne se limite pas aux infirmiers mais est assez étendue ; R4217-18 concerne les médecins, R4127-324 les sages-femmes ; au niveau européen, l’obligation pour les états ne les autorise pas à limiter le droit à l’objection de conscience des personnels, et même des établissements de santé, concernés ;

4. IMG (interruption médicale de grossesse) : ce sont les mêmes dispositions que l’avortement ; noter que l’article 225-1 du Code Pénal protège théoriquement d’une discrimination à l’embauche, du fait de convictions personnelles ;

5. Certificat : pas de clause de conscience pour ce document à fournir (L2212-6) ;

6. Diagnostic prénatal : obligation pour le médecin d’informer sur la possibilité de ce diagnostic (L2131-1) mais possibilité de rappeler qu’il est facultatif et susceptible d’erreurs ; la patiente peut refuser d’être informée sur le résultat (L1111-2).

b) Assistance à la procréation

Le cadre actuel (septembre 2018) est défini à L2141-2, précisé en L2142-3 pour les interdictions ; il concerne exclusivement un couple formé d’un homme et d’une femme, vivants, en âge de procréer et atteint d’une stérilité pathologique, ou d’un risque de transmission d’une maladie.

III – Fin de vie

Les médecins sont relativement protégés mais les infirmiers beaucoup moins. L’obstination déraisonnable est encadrée par L1110-5-1, précisé par R4127-37-2. Le problème est naturellement ici la nature de ce que recouvre le mot « soins ». Le médecin n’a pas de clause de conscience hors l’article général L1110-3 du début.

Les infirmiers semblent disposer d’un arsenal plus complet à travers les règles de déontologie (R4312-12), l’intérêt du patient (R4312-26) ou sa dignité et l’interdiction de provoquer délibérément la mort (R4312-21) ; il dispose d’une relative autonomie (R4312-33) mais ne peut aller contre l’avis du médecin (R4312-38 et R4312-42).

Mettre en œuvre l’objection de conscience

Conscience : c’est le « sens du bien de du mal » (Larousse) ; c’est un sentiment inné qui nous pousse à porter un jugement de valeur sur nos propres actes. Elle n’est pas infaillible et doit être éclairée (Veritatis Splendor, 62).

L’objection de conscience doit être distinguée de la désobéissance civile.

La désobéissance civile (ex : Gandhi) retire son consentement à l’autorité, considérée comme illégitime. Elle se heurte donc à ceux qui la considèrent légitime et relève du rapport de forces.

L’objection de conscience ne s’inscrit pas dans une perspective de soulèvement : c’est le refus de se plier ou participer à l’application d’une loi, ou un article de loi, qui va contre sa conscience ; l’objecteur se soumet par ailleurs aux conséquences de son refus (ex : Thomas More).

De ce fait la portée d’une objection dépasse le cadre personnel : elle place le responsable devant l’incohérence ou l’injustice de sa propre décision (ex : Antigone face à Créon) et porte un témoignage public en refusant les artifices.

A – Textes sur lesquels s’appuyer

Les textes de référence pour les catholiques sont :

1. La constitution Gaudium et spes ; 27, 74.5 ;

2. L’encyclique Evangelium vitæ, 3, 57-66, 72-75 ;

3. L’encyclique Donum vitæ.

Le principe général se trouve synthétisé dans CEC 2242 :

« Le citoyen est obligé, en conscience, de ne pas suivre les prescriptions des autorités civiles quand ces préceptes sont contraires aux exigences de l’ordre moral, aux droits fondamentaux des personnes ou aux enseignements de l’Évangile. […] Si l’autorité publique, débordant de sa compétence, opprime les citoyens, que ceux-ci ne refusent pas ce qui est objectivement demandé par le bien commun. Il leur est cependant permis de défendre leurs droits et ceux de leurs concitoyens contre les abus de pouvoir, en respectant les limites tracées par la loi naturelle et la Loi évangélique. »

Cet « impératif de désobéir » apporte une protection bienvenue aux personnes concernées : elles y sont tenues par leur obéissance à une autorité supérieure. C’est précisément la logique déployée dans le second procès de Nuremberg, où il a été reproché avec véhémence aux médecins d’avoir obéi à des ordres ou des lois injustes (crime de guerre).

Cependant,

– les principes de Nuremberg (en particulier le IV) sont formulés dans le cadre d’un conflit armé ; on peut également pointer que l’objecteur qui mentionnerait, même à raison, le tribunal de Nuremberg ne se rendrait pas populaire auprès des autorités et personnes mises en cause : une telle accusation doit impérativement venir d’un tiers ;

– ces principes vont plus loin que la morale catholique classique, qui établit des degrés de responsabilité notamment en raison de contraintes extérieures. De plus, le fait qu’une loi ne soit pas moralement juste n’implique pas automatiquement le devoir d’y désobéir. La légitimité de la désobéissance doit s’effacer devant l’impératif d’éviter le désordre, le scandale ou l’incompréhension : par exemple une décision qui paraîtrait arbitraire ou inhumaine, un manque de sérieux ou de professionnalisme, porteraient un contre-témoignage.

Un principe essentiel : nul ne peut contraindre un tiers autonome et responsable à la vertu : ce serait porter atteinte à sa dignité et liberté. Par exemple un médecin objecteur peut exposer ses réserves personnelles à une patiente dont il refuse la demande, insister sur les conséquences négatives prévisibles, mais ne doit pas entraver sa démarche (comme vu plus haut). À rebours, sa cliente n’a pas le droit de lui imposer un acte contraire à ses convictions, qui ne respecterait pas davantage la dignité du médecin.

Dans le cas d’un avortement la situation est plus compliquée : il s’agit de sauver une vie humaine. En ce sens, même l’obligation de fournir les coordonnées d’un médecin pratiquant l’avortement est contraire à la dignité du médecin. Il est légitime de s’abriter dans ce cas derrière les propos sans ambiguïté du pape François.

B – Degrés de responsabilité

L’Église fait porter la plus lourde responsabilité sur le législateur, ainsi que ceux qui ont promu ou favorisé une loi mauvaise. Sont placés sur le même plan ceux qui l’appliquent ou y participent avec la même intention mauvaise ; la participation peut se limiter à une suggestion, une approbation ou même un silence… On parle dans ce cas de collaboration formelle.

La coopération matérielle est plus nuancée : il n’y a pas accord intérieur. Cependant l’importance de la participation peut engager la responsabilité du collaborateur ; également si la conséquence de l’acte est clairement prévisible (délivrance de documents…)

La coopération passive n’affranchit pas de toute responsabilité : par exemple se taire lorsqu’on est témoin d’un acte intrinsèquement mauvais…

L’Église prend enfin en compte le degré de liberté du collaborateur : par exemple l’infirmière dont le salaire est indispensable à la vie de sa famille…

C – Conditions pratiques d’exercice de l’objection de conscience

Trois conditions doivent être remplies :

1. la loi doit viser directement l’objecteur potentiel ;

2. tout autre moyen a déjà été tenté ;

3. l’objection ne doit pas provoquer scandale et incompréhension.

Quatre précautions impératives :

1. Prendre le temps de la réflexion, étudier toutes les options : – coût pour moi-même et mon entourage, en commençant par ma famille – abandon d’une position « sensible » offrant une influence bénéfique

2. Prendre conseil (conjoint, personnes de référence aux idées proches) ; ne pas agir en solitaire : c’est la responsabilité de L’Église notamment d’organiser le soutien d’un de ses membres qui met en œuvre, à risques personnels, l’un de ses commandements impératifs

3. Ne pas surestimer ses forces – mais sans se réfugier derrière des excuses ‘faciles’

4. Prévoir à l’avance, autant que possible, les divers cas de figure et les réponses adéquates – mais il restera toujours des « cas limite » ou l’ objection de conscience relève de l’irresponsabilité morale et l’absurdité…

Il faut dans tous les cas garder en tête que si l’Église célèbre les martyrs, témoins puissants pour l’édification du monde, elle n’encourage jamais au martyre.

Annexes

Bibliographie succincte

La pilule contraceptive, H.Joyeux ; Le traumatisme post avortement, F. Allard [gynécologue] ; Après l’IVG, des femmes témoignent, M. Philippe ; IVG sans tabou, P. Récipon et Jacques de Guillebon ; Pharmaciens hors la loi, Mgr Marc Aillet (dir.), éd. De l’homme nouveau, 2011. (Les questions traitées dans plusieurs chapitres s’étendent au-delà du cas particulier des pharmaciens) ; Objection de conscience, Philippe Cappello, éd FX de Guibert, 2014

Liens électroniques généraux

Code de Santé Publique (CSP) : site Légifrance (https://www.legifrance.gouv.fr/ ) rubrique Les codes en vigueur (https://www.legifrance.gouv.fr/initRechCodeArticle.do ) ; dans la liste déroulante « nom du code » (second cadre), choisir (bas de liste) le code de la Santé publique, et préciser au dessous le numéro d’article, ex « L1110-3 » ; il est également possible de télécharger l’intégralité du code au format PDF (premier cadre).

Conseil Nationale de l’Ordre des Médecins : site https://www.conseil-national.medecin.fr/ ; il est possible de télécharger le code de déontologie au format PDF (colonne de droite) ; une recherche sur « clause de conscience » donne les références d’une douzaine d’articles sur ce thème.

Pour un soutien et discernement

Association « Objections ! » de JH et Ph. Cappello : http://www.objectiondelaconscience.org/

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