Procréation médicalement assistée (PMA) pour les femmes : quelques éléments de discernement

Aude Mirkovic
Maître de conférences en droit privé
Porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance
Auteur de
– PMA GPA : quel respect pour les droits de l’enfant ? (Téqui 2016)
– En Rouge et Noir, roman (Scholae 2017)
– PMA : un enjeu de société (Artège mars 2018)

Dans la foulée de l’avis favorable donné par le comité consultatif national d’éthique en juin 2017, la PMA dite pour les femmes sera discutée cette année dans le cadre des états généraux de la bioéthique, avant un possible projet de loi en la matière lors de la révision de la loi de bioéthique. Il importe donc que le législateur comme les citoyens s’emparent de ce sujet afin d’en saisir les enjeux.

Table des matières

De quoi s’agit-il ?
Conception sans père = méconnaissance des droits de l’enfant
Accueillir une situation n’est pas l’organiser
Des femmes vont à l’étranger se faire inséminer
L’orientation sexuelle des intéressés n’est pas en cause
L’amour destiné à l’enfant ne justifie pas l’effacement du père
La marchandisation du corps
La PMA pour les femmes ouvre la PMA sans indication médicale
Après la PMA, la GPA
Conclusion

De quoi s’agit-il ?

La PMA pour les femmes célibataires et les couples de femmes est l’insémination par des donneurs anonymes de femmes dont le projet d’enfant n’inclut aucun homme.

Pour l’enfant, principal intéressé et pourtant grand absent des débats, ces PMA sont des procréations sans père : la PMA pour les femmes réalise l’effacement du père. La branche paternelle de l’enfant est rendue vacante, le cas échéant pour permettre à une deuxième femme, la conjointe de la mère, de réaliser son désir d’enfant.

Ces conceptions d’enfants délibérément privés de père réalisent une grave injustice à l’égard de l’enfant et posent une question toute simple : est-il important d’avoir un père, ou pas ? Est-il légitime de priver délibérément un enfant de père pour satisfaire le désir d’autrui ?

La PMA telle qu’elle est envisagée n’a rien d’anodin : le comité d’éthique lui-même reconnaît qu’il s’agit là d’une « nouveauté anthropologique » et que demeurent des points de butée, autrement dit des questionnements non résolus, qui concernent notamment « le rôle comme la définition du père », « la question de la rareté des ressources biologiques et des risques de marchandisation que celle-ci entraîne, la limite entre le pathologique et le sociétal ».

Conception sans père = méconnaissance des droits de l’enfant

L’enfant a des droits qui sont notamment proclamés par la Convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU, ratifiée par la France en 1990 et dont l’article 7 pose le droit pour tout enfant, dans la mesure du possible, « de connaître ses parents et d’être élevé par eux ».

Comment ne pas voir qu’un procédé qui organise délibérément l’effacement du père méconnaît ce droit ? Les droits de l’enfant ne sont pas de belles paroles mais des engagements contraignants pour l’État : ces PMA sans père, si la loi venait à les organiser, seraient de véritables bombes à retardement juridiques car les enfants demanderont un jour des comptes sur cette branche paternelle non seulement vacante mais effacée.

Accueillir une situation n’est pas l’organiser

Il est vrai que des femmes trouvent depuis toujours les moyens d’avoir des enfants seules (une aventure avec un homme, une insémination artisanale par un ami…). Mais la légalisation de l’AMP pour les couples de femmes et les femmes seules institutionnaliserait “l’absence de père” qui ne relèverait plus du fait mais de la situation juridiquement instituée. Comme le relève le comité d’éthique, « si des enfants ne connaissant pas leur père et des enfants élevés par un seul parent ou dans un couple homosexuel existent depuis toujours, il y a une différence entre le fait de “faire face” à une telle situation survenant dans le cadre de la vie privée sans avoir été planifiée ni organisée par la société, et l’instituer ab initio » (p. 20).

L’État n’a sans doute pas à s’immiscer dans les choix que peuvent faire les personnes dans le cadre de leur vie privée. Mais il est cette fois sollicité pour apporter son concours à la conception de ces enfants sans père et il a la responsabilité de prendre en considération les droits de tous, à commencer par ceux de l’enfant.

Dès lors que la société est sollicitée, chaque citoyen a le droit de s’exprimer pour refuser une loi qui organise la conception d’enfants sans père, car la loi est l’affaire de tous. Et il est différent d’accueillir une situation, par exemple celle d’une femme mère célibataire ou élevant son enfant avec une autre femme, et de provoquer cette situation, la susciter, l’organiser.

Des femmes vont à l’étranger se faire inséminer

Le fait que des femmes choisissent d’aller à l’étranger se faire inséminer, par exemple en Espagne ou en Belgique, ne suffit pas à mettre l’État français devant le fait accompli. En Espagne, une femme de 68 ans a bénéficié de la PMA pour avoir un enfant. Il est encore possible en Espagne qu’une femme veuve soit inséminée par les gamètes de son mari défunt, pour concevoir un orphelin : allons-nous légaliser toutes ces pratiques en France, sous prétexte que seuls ceux qui en ont les moyens peuvent se les payer en Espagne ?

L’orientation sexuelle des intéressés n’est pas en cause

Les promoteurs de la PMA pour les femmes s’appuient sur une idée erronée de l’égalité selon laquelle les femmes célibataires ou homosexuelles seraient discriminées par rapport aux couples homme/femme qui auraient le droit, eux, de bénéficier de la PMA.

Mais, tout d’abord, les couples homme/femme n’ont pas droit à la PMA : celle-ci ne concerne que les couples concernés par un problème médical d’infertilité. Les couples fertiles homme/femme n’y ont pas accès et n’en sont pas discriminés pour autant.

Ensuite, contrairement à ce qui est prétendu, l’orientation sexuelle des intéressées n’est pas en cause : une femme célibataire en désir d’enfant n’est pas nécessairement homosexuelle, et deux femmes hétérosexuelles pourraient elles aussi penser à mener un projet d’enfant, à défaut d’homme candidat à la paternité dans leur entourage. La réponse du droit ne peut qu’être la même pour tous : la réalisation des désirs trouve sa limite dans le respect des droits d’autrui, en l’occurrence de l’enfant. Or, une conception qui écarte délibérément et définitivement le père porte atteinte aux droits de l’enfant, quelles que soient les tendances sexuelles des demandeuses.

L’égalité ne signifie pas qu’il faut traiter tout le monde de la même manière, ce qui peut au contraire se révéler très injuste, mais seulement ceux qui sont dans la même situation ou des situations équivalentes. Or, au regard de la procréation, un couple homme/femme n’est pas dans une situation équivalente à celle d’une femme seule ou d’un couple de femmes. De même, les couples âgés, ayant dépassé l’âge de la procréation n’ont pas non plus accès à la PMA : ils ne subissent pas de discrimination de ce fait car la différence de situation justifie la différence de traitement. Il n’y a pas plus de discrimination à l’égard des femmes célibataires et en couple de femmes qu’il n’y en a à l’égard des personnes âgées.

L’amour destiné à l’enfant ne justifie pas l’effacement du père

Il est acquis que les femmes demandeuses de PMA n’ont que de bonnes intentions à l’ égard de l’enfant auquel beaucoup d’amour est promis. Mais l’amour ne justifie pas tout, et en particulier ne justifie pas de priver un enfant de père.

L’amour destiné à l’enfant ne remplacera pas ce manque objectif de lignée paternelle et n’est d’ailleurs pas sans ambiguïté : « nous allons t’aimer tellement que nous commençons par te priver de père, pour te garder pour nous ».

Finalement, alors qu’une fausse égalité sert de prétexte pour revendiquer la PMA pour les femmes, cette pratique instaurerait une inégalité cette fois-ci bien réelle entre les enfants dès lors que certains seraient privés, par la loi et délibérément, de père.

La marchandisation du corps

La PMA pour les femmes suscite encore un certain nombre de difficultés importantes même si secondaires eu égard au problème principal qui demeure l’effacement du père.

Actuellement, les dons de sperme ne suffisent pas à réaliser les PMA demandées au sein des couples homme/femme infertiles. La PMA pour les femmes aggraverait cette « pénurie » et la société aurait donc le choix entre deux possibilités :

Renoncer à la gratuité et passer à la vente de sperme pour encourager le don devenu vente. Mais, si les gamètes peuvent être vendus, pourquoi pas les organes, ou le sang ? En outre, la fourniture de sperme devenue un revenu multiplierait le nombre des enfants issus d’un même donneur et le risque de consanguinité entre eux.

Maintenir la gratuité mais le manque de gamètes empêcherait de répondre aux demandes, tandis que se développerait un marché parallèle pour compenser le manque de gamètes disponibles par les voies légales. En Belgique et au Canada qui organisent la PMA pour les femmes sans rémunérer les donneurs, les dons couvrent seulement 10% des demandes, et ces pays achètent 90% du sperme respectivement au Danemark et aux États-Unis.

La PMA pour les femmes ouvre la PMA sans indication médicale

Certains pensent que la PMA pour les femmes serait la dernière revendication en matière de procréation pour atteindre une situation satisfaisante pour tous. Il n’en est rien.

Aujourd’hui, en droit français, la PMA poursuit un objectif thérapeutique, à savoir compenser une infertilité pathologique. Elle ne peut donc concerner que des couples homme/femme, vivants et en âge de procréer, car l’incapacité à procréer des personnes seules, en couple de même sexe, ou trop âgées pour enfanter, voire décédées n’a rien de pathologique : elle est naturelle et n’a pas vocation à être compensée par la médecine.

Permettre l’insémination de femmes non stériles signifierait de renoncer à ce critère thérapeutique et, alors, tout le monde devrait avoir accès à la technique, y compris les couples homme/femme, qui ne souffrent pas d’infertilité mais préfèrent passer par la PMA pour des raisons diverses. Les couples homme/femme, beaucoup plus nombreux que les couples homosexuels, constituent à n’en pas douter la cible ultime du grand marché de la procréation qui se hâtera, une fois le verrou thérapeutique levé, de proposer des prestations sur mesure pour choisir telle caractéristique chez l’enfant ou éviter telle autre non souhaitée. On sait déjà combien la pollution et la vie urbaines, qui agissent sur la qualité du sperme, engagent de nombreux couples dans des processus de PMA. L’industrie florissante qui en profite n’a-t-elle pas tout intérêt à étendre sa clientèle au delà de ces cas de stérilité déjà en hausse constante ?

La société doit s’interroger : jusqu’où voulons nous aller avec ces techniques de procréation artificielle ? La PMA doit-elle demeurer une mesure d’exception, destinée à compenser un problème médical, ou devenir un mode habituel de procréation et de programmation de l’enfant souhaité ?

Après la PMA, la GPA

La promesse d’une PMA non thérapeutique sans GPA est illusoire : à partir du moment où l’on revendique une égalité mal comprise entre couples homme/femme et femmes au regard de la PMA, cette même notion tronquée d’égalité conduira à justifier la GPA par la soi-disant inégalité subie par les hommes par rapport aux femmes.

Autrement dit, à partir du moment où on accepte de mettre de côté les droits de l’enfant, concrètement d’effacer la branche paternelle de sa filiation pour réaliser le désir des femmes, pourquoi ne pas effacer la branche maternelle, pour réaliser cette fois le désir des hommes ?

Conclusion

Les Français qui se disent favorables à l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux célibataires seraient-ils toujours de cet avis si la question était posée du côté de l’enfant : la loi doit-elle organiser la conception d’enfants privés de père, de lignée paternelle ?

Des enfants sans père, il y en a. On connaît leur manque, leurs difficultés, leur souffrance. Ce n’est pas à la loi d’organiser cette privation et cette souffrance. La PMA sans père n’est pas une fatalité : l’avis du CCNE n’oblige personne et, au contraire, il alerte sur de nombreux obstacles non résolus qui s’opposent à la PMA sans père. Il est encore temps d’expliquer, alerter nos députés, afin que le législateur puisse remplir son rôle de gardien des droits de tous et, en particulier, des enfants.

Laissez un commentaire