Contre l’avortement, un combat spirituel
Agnès Sanson est interviewé par Marguerite Aubry, du magazine l’Homme nouveau.
L’avortement a été légalisé à coups de slogans « Mon corps, mon choix ». Qu’en est-il réellement ? Les mamans qui vous appellent sont-elles vraiment libres dans leur décision d’avorter ?
C’est tout le fondement de mon livre, car c’est ce qui m’a le plus frappé dans mon expérience d’écoutante. La plupart des femmes nous appellent en nous disant : « Je n’ai pas le choix. » Tout en pensant exercer une liberté fondamentale en avortant, elles reconnaissent ne pas avoir le choix, car les difficultés sont trop grandes.
Ce n’est pas le cas pour toutes bien sûr : certaines avortent et n’ont aucun regret ensuite, du moins en apparence. Mais je parle là d’une grande proportion de celles qui nous appellent. Et c’est le cas pour les deux histoires de Gabrielle et Raphaëlle que je raconte dans mon livre : elles étaient sous pression, à tel point que la deuxième pouvait dire dans la même phrase : « je veux avorter » et « je n’ai pas le choix ».
Cette liberté est d’autant plus bafouée que la réalité de l’avortement est complètement occultée aujourd’hui. Comment cela se passe-t-il ? Quelles sont les conséquences qui reviennent dans les témoignages des femmes que vous écoutez ?
Pour une très grande proportion de femmes, la liberté n’existe pas : elles sont prises dans un système qui les pousse à l’avortement. Tout est enclenché très vite. Le rendez-vous avec un psychologue qui était obligatoire ne l’est plus aujourd’hui. À la moindre difficulté, le chemin que l’on vous propose est celui de l’avortement, comme solution de facilité, comme si l’on pouvait revenir à la vie antérieure.
Mais c’est un mensonge, il y a toujours un avant et un après, lorsqu’une grossesse commence. On cache à la femme la réalité du meurtre de son enfant, à tel point que certaines y ont parfois recours par confort ! Elles n’ont même pas conscience de la gravité de leur acte.
Toutes les conséquences de l’avortement sont également cachées, qu’elles soient physiques, psychologiques et même spirituelles. L’avortement laisse très rarement la conscience des femmes indemne. Cela se réveille à un moment ou à un autre. En soins palliatifs, il n’est pas rare de voir des femmes âgées qui attendent d’avoir avoué un avortement et, ainsi libérées, se laissent paisiblement aller dans la mort.
C’est un prêtre exorciste au contact des femmes ayant avorté qui a écrit un livre au sujet des conséquences spirituelles (Note 1). Elles existent également chez l’homme, dont on ne parle jamais mais qui peut également subir ce traumatisme.
Quel est alors votre rôle ? Face à la « solution de facilité » de l’avortement, jusqu’où va votre soutien ?
Notre premier rôle est celui de la compassion : avant, pendant et après la décision de garder l’enfant ou non. Nous sommes là pour les éclairer afin qu’elles fassent le choix du bien, pour ouvrir leur espace de liberté : prendre le temps de réfléchir pour savoir s’il n’est pas possible pour elles d’assumer l’enfant.
Et ensuite, nous restons à leurs côtés, même si elles ont avorté. Certaines d’entre elles nous rappellent pour nous dire que nous avions raison, et nous les soutenons. Elles nous disent que tout est fait pour qu’elles avortent, mais qu’une fois que c’est fait, elles restent seules. Alors que nous sommes toujours là pour les écouter. La compassion n’est pas un sentiment, elle doit déboucher sur l’action pour être vraie.
Vous témoignez de votre vie de prière en parallèle de vos accompagnements (chaînes de prière et de jeûne, neuvaines, pèlerinage pour la vie, accompagnement au baptême, exorcismes…). Dans quelle mesure le combat contre l’avortement est-il un combat spirituel ?
Le combat contre l’avortement est en effet totalement spirituel, même si la femme enceinte ne le sait pas. Dans les messages que la Sainte Vierge Marie adresse à don Gobbi (1930-2011, fondateur du Mouvement sacerdotal marial et en procès de béatification), elle parle beaucoup de l’avortement. Le combat contre l’avortement s’insère dans la grande lutte finale qui se livre entre Dieu et Satan, entre les esprits angéliques et les démons.
J’ai vu ce combat chez Raphaëlle, dont je raconte l’histoire dans mon livre et qui est chrétienne, comme de nombreuses autres femmes qui nous appellent. L’un des cas qui m’a le plus attristée est celui d’une femme qui venait d’être baptisée. Elle est tombée enceinte et s’est rendue compte qu’elle ne pouvait pas garder cet enfant, car elle en avait déjà quatre avec un autre homme : les difficultés étaient trop grandes. Elle a avorté. Vous imaginez le combat spirituel de cette femme ?
Tout le monde peut-il devenir écoutant ou est-ce réservé aux femmes et aux mères ? Les écoutants reçoivent-ils une formation ?
Cette question est importante car nous avons un grand besoin de trouver de nouvelles écoutantes. Il n’y a pas de profil type, mais il est certain qu’il vaut mieux ne pas être trop jeune, et avoir un peu d’expérience : être mère ou travailler dans le milieu maternel. Nous avons un problème de recrutement car être écoutante demande un engagement : il s’agit d’être disponible une demi- journée par semaine, et cela effraie beaucoup les jeunes.
Je pense que le meilleur profil est celui des femmes qui ont de l’expérience et qui sont en début de retraite. Dans notre équipe, nous avons également un homme car ce sont parfois des hommes qui ont besoin de parler de l’avortement. Nous sommes évidemment formés, notamment avec une psychologue.
Vous évoquez le rôle de votre mari et de toute votre famille, qui surent accueillir la petite Pauline, rescapée de l’avortement, lorsque sa maman était malade. Quelle peut être la place de tout un chacun dans la défense de la vie ?
La prière d’abord. Nous entourons chacune des mamans qui nous appellent d’une chaîne de prière et de jeûne, dans laquelle tout le monde peut s’engager. Ensuite, il s’agit de cultiver un certain climat d’accueil de la vie, de dédramatisation, d’amour, afin que les femmes enceintes ne se sentent pas jugées. Ces mamans ne sont pas mieux acceptées aujourd’hui qu’elles ne l’étaient hier : nous avons encore eu récemment une jeune femme mise à la porte de chez elle car elle était enceinte : comment voulez-vous qu’elle fasse un choix libre ?
Pour finir sur une note d’espérance, voici le dernier message que j’ai reçu de Raphaëlle : « Je tenais à te remercier toi, Agnès, ainsi que tous les membres de l’association pour tout le soutien que vous m’avez apporté dans mon épreuve à travers votre écoute et vos prières. Je reste persuadée d’avoir, grâce à votre aide, pris la meilleure décision en ayant choisi la vie ; d’avoir sauvé non seulement la vie de mon enfant mais également la mienne. Aujourd’hui, je suis une maman comblée d’amour et mes enfants sont pour moi un moteur me permettant d’avancer dans la vie, ma vie qui reste un combat de tous les jours, mais je ne l’imagine plus sans eux, car quoi de plus précieux qu’une vie ? »
Note 1 : Frère Christian de la Vierge, L’avortement vu par un prêtre exorciste, Éditions bénédictines, 44 p., 5 €.
Agnès Sanson, Le Doute ?… et le don, thebookedition.com, 80 p., 10 €.
Pour aller plus loin : « Choisir la Vie », 70 boulevard Saint-Germain, 75005 Paris. Tél. : 06 34 48 82 28 – info@choisirlavie.fr
Entretien publié dans l’Homme Nouveau n° 1809, 1er juin 2024