Euthanasie : Michel Barnier ne doit pas se rallier à un projet de loi faussement progressiste
TRIBUNE – Michel Barnier s’est déclaré «personnellement favorable» au projet de loi légalisant l’euthanasie qui avait été présenté par son prédécesseur. Un projet présenté comme un «progrès» mais qui, en réalité, menace les plus vulnérables, analyse Laurent Frémont, enseignant en droit constitutionnel à Sciences Po.
Décidément, certains lobbies font preuve d’une efficacité redoutable. Mardi dernier, lors de sa déclaration de politique générale, le premier ministre s’engageait prudemment à « reprendre le dialogue » sur la fin de vie. Pas plus tard que deux jours après, Michel Barnier était contraint de se déclarer « personnellement favorable » au projet de loi légalisant l’euthanasie qui avait été présenté par son prédécesseur.
Ce faisant, le premier ministre a sans doute pensé donner caution aux militants qui, depuis la dissolution, se démènent pour faire de l’euthanasie une priorité pour la nouvelle législature. Médias, politiques, activistes, tous assènent une rhétorique bien connue : il s’agirait là d’un « progrès humain », censé consacrer définitivement l’autonomie d’un individu maître de sa destinée. Les opposants à ce texte seraient nécessairement réactionnaires, guidés par un aveuglement idéologique ou une toute-puissance médicale les conduisant à préserver la vie à tout prix.
En réalité, ce projet est profondément rétrograde. Il va à rebours des progrès entrepris depuis des décennies pour développer une culture de l’accompagnement. Il nie les avancées thérapeutiques considérables qui ont permis de mettre fin à l’administration de « cocktails lytiques » en catimini, lorsque la médecine était impuissante à guérir ou à soulager.
Le modèle français a su trouver un chemin de crête, plaçant le patient au centre, refusant l’obstination déraisonnable, trouvant une voie de passage pour une alliance thérapeutique faite de vulnérabilités partagées. Tel est le vrai « progrès » : subtil, délicat, précautionneux ; en somme, à l’opposé de l’approche binaire des partisans de l’homicide médicalisé.
Ce protocole de mort programmée est aussi l’expression d’un technicisme qui prétend pouvoir mettre fin à la souffrance et à l’incertitude par la loi et la technique. Il est surtout la traduction d’une conception de l’homme qui fait de la vieillesse, de la maladie et de la perte d’autonomie l’expression d’une situation d’indignité. Il bafoue les valeurs de sollicitude et d’humanisme du soin que le législateur et le corps soignant s’emploient patiemment à développer depuis une vingtaine d’années. Il cède définitivement à l’utilitarisme, là où la noblesse du politique serait de veiller à protéger les plus vulnérables du sentiment d’inutilité sociale et de la tentation du désespoir.
Comment ignorer la charge psychologique et les traumatismes émotionnels engendrés par la possibilité pour un tiers de mettre fin aux jours de son proche ?
Surtout, il est important d’avoir à l’esprit la teneur du projet de loi d’avril 2024, auquel le premier ministre se dit désormais favorable. Ce texte allait plus loin que la plupart des législations les plus extrémistes. Il aurait fait de la France le seul pays au monde à autoriser l’administration de la substance létale par n’importe qui et n’importe où. Cela en dit d’ailleurs long sur les intentions des rédacteurs de ce texte. Comment ignorer la charge psychologique et les traumatismes émotionnels engendrés par la possibilité pour un tiers de mettre fin aux jours de son proche ?
Le projet de loi du 10 avril 2024 plaçait le demandeur de mort dans une froide solitude décisionnelle : pour obtenir la mort, il suffisait de formuler une simple demande orale et sans témoin auprès d’« un médecin » indéfini, le second avis pouvant être donné à distance, sans examen de la personne.
La fragilité psychologique n’était pas évaluée ; les potentiels abus de faiblesse ou pressions sociales n’étaient pas même considérés ; aucun dispositif de contrôle a priori n’était prévu ; les décisions accordant la mort n’étaient pas susceptibles de recours ; les proches étaient totalement exclus du processus. En définitive, tout était fait pour favoriser une exécution la plus rapide possible, lorsque tant d’actes autrement moins engageants exigent des garanties renforcées.
Notre législation aurait été étonnamment coercitive sur les soignants, contraints à proposer une solution de mort dans des délais très rapides ; sur les directeurs d’établissement qui auraient été « tenus » d’organiser l’administration de la mort en leurs murs ; sur les pharmaciens qui auraient été privés de clause de conscience pour la délivrance de substances létales.
Enfin, ce projet était pernicieux car il travestissait le sens des mots. À l’encontre d’une définition scientifique et internationale constante, les soins palliatifs étaient renommés « soins d’accompagnement » , incluant la mort médicalement provoquée. L’euthanasie et le suicide assisté n’étaient jamais nommés, sans doute pour jeter un voile pudique sur leur réalité. Comment avoir confiance en un protocole qui n’est même pas désigné tel quel mais abordé par des périphrases trompeuses ?
Tel est le projet présenté au printemps dernier par Catherine Vautrin et aujourd’hui soutenu par Michel Barnier. Il faut définitivement sortir du mythe d’un « texte d’équilibre » qui aurait été dénaturé par des députés extrémistes en commission spéciale puis en séance publique. Il est vrai que le rapporteur général du texte était un militant historique et membre du comité d’honneur de la principale association pro-euthanasie.
Celle qui proposait à ses adhérents une brochure d’auto-délivrance (véritable mode d’emploi du suicide) avant que la loi ne vienne l’interdire. Celle-là même dont le vice-président, Gilbert Brunet, déclarait que la mort volontaire est « la plus digne », permettant d’échapper à une « vie dérisoire » lorsqu’une fonction existentielle est atteinte.
Certes, le texte aura largement été durci par les parlementaires qui sont partisans de cette mouvance aux relents eugénistes. Mais, dans sa rédaction initiale, le projet de loi prévoyait déjà la plupart des transgressions. Il ne faut pas se tromper : derrière les belles intentions permettant d’obtenir un consensus factice, se cache un projet profondément rétrograde qui menace les plus vulnérables. Définitivement, il apparaît difficile d’y voir là un quelconque « progrès ».
Publié sur lefigaro.fr – Laurent Frémont le 8 octobre 2024