Olivia Maurel : « J’ai été vendue à ma naissance »
Avec l’aimable autorisation de Famille chrétienne
Olivia Maurel est une rescapée. Depuis un peu plus de trente ans, elle tente de se remettre du déchirement vécu à sa naissance. «J’ai été vendue», assène de façon très crue cette élégante brune née d’une gestation pour autrui (GPA) au début des années 1990. «Cette cicatrice, qui traverse mon corps de la tête aux pieds, ne disparaîtra jamais», écrit-elle dans Où es-tu, Maman ? (voir encadré), un récit poignant sur cette pratique qui l’a fait tant souffrir et qu’elle est aujourd’hui déterminée à combattre. Fille unique de parents fortunés, Olivia Maurel a grandi entre le sud de la France et la Floride. Elle ne manque de rien, « sauf d’amour, peut-être ». Ses parents ne lui avoueront sa véritable origine que bien des années après sa naissance. Pourtant, elle n’a pas attendu leurs aveux pour soupçonner d’être née d’une mère porteuse. Ses traits, si différents de ceux de sa mère, l’absence de photos de la grossesse et de ses premiers jours de vie, son étrange naissance dans l’État américain du Kentucky sont autant d’indices troublants…
« Combien ai-je coûté à mes parents ? »
Dès sa plus tendre enfance, une terrible détresse la tiraille. «Mon plus grand traumatisme? Celui de l’abandon, affirme-t-elle. Même lorsque j’ignorais être née par GPA, je ressentais cette douleur inexplicable.» Son adolescence est marquée par de terribles phases de dépression. Elle sombre dans les médicaments, l’alcool et la drogue. Une question la hante à l’époque : «Combien ai-je coûté à mes parents?» Elle n’obtiendra jamais de réponse précise. Ses grands yeux bleus s’illuminent lorsqu’elle parle de la bienveillance et de l’amour de son mari, l’un des principaux ouvriers de sa reconstruction. Installée avec lui sur la Côte d’Azur, Olivia Maurel est aujourd’hui mère de trois enfants.
C’est un test ADN qui lui apportera finalement la certitude d’être née par maternité de substitution. Cette découverte marque le début d’un long chemin de reconstruction. Ce test – désormais interdit en France – la met en lien avec toute une partie ignorée de sa famille… y compris sa mère biologique. Le récit de sa naissance la bouleverse. «Tes parents étaient dans la salle de naissance, lui confie par messages celle qui lui a donné la vie. Ton père a pleuré quand tu es née. Ensuite, une infirmière t’a prise et t’a mise dans une bassine pour te laver. Alors que tu étais loin de moi, tu as tourné ta tête et tu m’as regardée, et tu ne m’as plus quittée du regard.» Ces mots la saisissent. Depuis la naissance de sa fille aînée, Olivia comprend la souffrance que pourrait ressentir une mère privée de son enfant dès ses premiers instants de vie : «À la fin de l’accouchement, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps : je savais que pour rien au monde je n’aurais été capable de donner ma fille.»
Depuis quelques années, cette militante en talons hauts a fait du combat contre la GPA une véritable vocation. Luttant initialement de façon solitaire sur les réseaux sociaux, notamment TikTok, elle est aujourd’hui porte-parole de la Déclaration de Casablanca. Signé par des dizaines d’experts du monde entier, ce manifeste appelle de ses vœux une abolition universelle de cette pratique. Dans le cadre de ce porte-parolat, elle s’est prononcée sur le sujet devant diverses institutions internationales, allant du Parlement tchèque jusqu’aux Nations unies. Signe de sa profonde blessure, Olivia Maurel reconnaît, qu’au départ, elle n’arrivait pas «à aligner une phrase sur ce sujet sans [s’]effondrer». Combattre cette pratique lui a finalement permis de se reconstruire : «Plus je témoignais, plus cela me soignait! Petit à petit, mes blessures sont même devenues une force pour plaider cette cause!»
Pour le Parlement européen, la GPA constitue une forme de « traite d’être humain »
Dans le cadre de ce combat acharné, la militante, bien que non croyante, a pu rencontrer le pape François, lors d’une audience en avril 2024, pour le sensibiliser à sa cause. Le Saint-Père lui laisse le souvenir d’un homme agréable et bien au fait du sujet. Il l’a invitée à poursuivre son action avec «bonne humeur», même lorsqu’il s’agit de lutter contre des «processus aussi inhumains que la GPA». «J’ai le soutien du chef de l’Église, s’était-elle réjouie en sortant de cette rencontre. On va y arriver!» Quand on lui parle de GPA « éthique » ou « altruiste », Olivia Maurel manque de s’étouffer. «Les seuls gagnants de ce système sont les agences, les cliniques et les avocats, martèle-t-elle. Il faudra que quelqu’un m’explique un jour ce qu’il y a d’éthique à voir des jeunes femmes pauvres – parce qu’il n’y a que des pauvres qui acceptent de faire cela – vendre leur corps à des couples riches.»
Dans sa longue liste de griefs contre la GPA, elle en dénonce également l’eugénisme à peine voilé : «Les enfants sont choisis sur catalogue, rappelle-t-elle. On va choisir une femme d’une certaine couleur de peau, d’une certaine taille, avec certains traits… Quand les embryons sont créés, ils sont notés, puis on sélectionne celui qui sera le plus performant. Si les commanditaires veulent une fille aux yeux bleus, ils auront une fille aux yeux bleus. Bientôt, on pourra même choisir le quotient intellectuel de son enfant!»
Dans son livre Où es-tu, Maman? (éd. du Rocher), Olivia Maurel attire l’attention sur un aspect souvent oublié de la GPA : la souffrance des enfants. Dans une première partie, aux airs de témoignage, cette jeune mère de famille raconte sa vie, marquée au fer rouge par son abandon à la naissance. Elle n’élude rien de la douloureuse découverte de son origine et des souffrances que ce déchirement originel a causées chez elle. Dans un second temps, ce livre prend finalement des allures d’essai pour pointer du doigt les innombrables travers de cette pratique. Un excellent outil pour quiconque souhaiterait la suivre dans cette bataille contre cette nouvelle forme de trafic d’êtres humains. (Antoine Pasquier)
« Mon corps, le choix du client »
S’attaquer à cette industrie, qui brasse des centaines de millions d’euros chaque année à travers le monde, lui a d’ailleurs valu de nombreuses menaces. Contre elle, mais aussi contre ses enfants… Ce jeu en vaut-il la chandelle ? «Assurément!», s’exclame avec détermination la trentenaire. Olivia Maurel sait qu’elle n’est pas seule à mener ce combat. Des « hordes de féministes », selon ses mots, volent à son secours lorsqu’elle est attaquée sur les réseaux sociaux. « Le véritable féminisme, c’est bel et bien cela : protéger la femme et son enfant, rappelle-t-elle quand on lui objecte qu’on aurait plutôt imaginé les féministes l’attaquer. Je me tue à le répéter, 100% des véritables féministes sont contre la prostitution, donc contre la GPA. Les gens qui défendent la GPA en brandissant le fameux argument “Mon corps, mon choix” se trompent gravement. Avec cette pratique, c’est: “Mon corps, le choix du client!”» Elle donne comme exemple la possibilité pour les parents commanditaires d’obliger la mère de substitution à avorter si le fœtus est porteur d’une déficience imprévue…
Malgré son apparente combativité, l’exaspération, voire le découragement, émerge parfois chez elle. «Dans les médias, on ne voit que ça. Il y a une publicité permanente pour cette pratique alors qu’elle est illégale.» Dans son viseur, des émissions larmoyantes où des couples de célébrités présentent leur enfant acheté à l’étranger en passant, bien sûr, sous silence le sort de la mère. Ces coups de projecteurs indécents n’entament pas son optimisme sans faille : «Nous remporterons ce combat. Cela bouge dans le bon sens : les sondages montrent une baisse de l’adhésion de l’opinion publique à la GPA en France.» Dans le monde, d’autres signaux sont positifs. Elle cite avec enthousiasme une récente loi passée en Italie.
Et en France? Si les choses n’avancent pas aussi vite qu’elle le souhaiterait, sa bataille contre la GPA trouve un écho. «On a aidé des députés français à élaborer une proposition de loi sur le sujet l’année dernière ! On était proche du but. Malheureusement tout est tombé à l’eau avec la dissolution», regrette-t-elle.
Si elle discute régulièrement avec la droite de l’échiquier politique, historiquement plus engagée sur cette question, elle trouve aussi quelques échos à gauche, même si ce camp manipule le sujet avec des pincettes… «Cela devrait plutôt être un combat de gauche, s’étonne-t-elle. La GPA est une pratique capitaliste par excellence!» Des propositions de loi seront bientôt présentées pour «faire évoluer les choses dans le bon sens», promet la mère de famille. «Ce combat prendra du temps à être remporté, estime-t-elle sans fatalisme. Je ne serai peut-être pas là pour voir les fruits de toutes ces batailles menées, mais nous y arriverons, j’en suis certaine !»