Les embryons sont des enfants, tranche la Cour suprême de l’Alabama

Court suprême Alabama

Du site canadien La Presse le 20 février 2024 :

Les embryons congelés sont des personnes à part entière, a tranché la Cour suprême de l’Alabama, et leur destruction pourrait être passible de sanctions criminelles. Cette décision, la première du genre, pourrait faire jurisprudence et s’étendre à d’autres États, craignent des organisations pro-choix.

Le cœur de la question sur laquelle s’est penché le plus haut tribunal de cet État du Sud américain était de savoir si une personne qui avait malencontreusement renversé et détruit des embryons congelés pouvait être tenue responsable de négligence criminelle. 

La Cour a conclu par l’affirmative, arguant qu’elle avait longtemps considéré que « les enfants à naître sont des ‟enfants” » et que cela était également vrai pour les embryons congelés. Ce faisant, elle accorde aux œufs fécondés la même protection qu’aux bébés en vertu de la loi sur la mort injustifiée d’un mineur. « [Cette loi] s’applique à tous les enfants, nés ou à naître, sans limitations », a écrit le tribunal. 

La Cour suprême a ainsi infirmé la décision d’un tribunal de première instance dont la conclusion était contraire. Dans l’immédiat, trois couples pourront donc intenter une action en justice après que leurs embryons congelés ont été détruits lors d’un accident dans une clinique de fertilité. 

À la lumière de cette décision, Stéphanie Pache estime qu’il y a « escalade dans la régulation du corps des femmes » aux États-Unis. « Chaque fois qu’on fait tomber une protection, on risque d’aggraver la situation, et que d’autres États suivent », avance la professeure au département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal. 

Dana Sussman, de l’organisation Pregnancy Justice, abonde elle aussi dans ce sens. « Il suffit qu’un État ouvre la voie pour que les autres se sentent moins radicaux. C’est une source de grande inquiétude », a-t-elle affirmé au Washington Post. Véronique Pronovost, de la Chaire Raoul-Dandurand, qualifie ce phénomène de « mimétisme législatif entre les États ». 

De l’avis de Kelly Baden, du Guttmacher Institute, cette récente décision montre à quel point l’invalidation de l’arrêt Roe c. Wade, en 2022, a conféré aux législateurs le pouvoir de restreindre bien plus que l’avortement, comme s’était empressé de le faire l’Alabama même dans les cas de viol et d’inceste. « Reste à voir jusqu’où iront les États et les tribunaux », a-t-elle déclaré. 

Mme Pronovost s’inquiète par ailleurs de l’omniprésence de la religion dans la décision de la Cour suprême. « La Bible y est citée plus d’une centaine de fois afin de légitimer des arguments juridiques », affirme-t-elle. 

À l’échelle du pays, au moins 11 États ont déjà défini la notion de « personne » comme commençant au moment de la fécondation, selon Pregnancy Justice. Or, jamais auparavant cette définition n’avait été élargie aux embryons congelés, même si des organisations et législateurs antiavortement avaient entamé des démarches en ce sens par le passé. 

La décision de la Cour pourrait à terme avoir des implications dans tout le pays pour les traitements de fécondation in vitro, mais pour l’heure, les regards sont rivés sur l’Alabama. Les prestataires de ce service pourraient être plus réticents à l’offrir par crainte de détruire un embryon par inadvertance, a déclaré Karla Torres, conseillère principale au Centre pour les droits reproductifs. 

Les juges ont fait fi de ces préoccupations, affirmant qu’il appartenait à la législature de répondre à cet « argument politique » et qu’ils avaient le devoir de fournir une protection juridique à la vie, sans exception. Dans son opinion dissidente, le juge Greg Cook a estimé que la décision majoritaire « mettait presque certainement fin à la création d’embryons congelés par fécondation in vitro en Alabama ». 

C’est également ce qu’anticipe Mme Pronovost. « Cette décision idéologique remet en question la possibilité que des services de fécondation in vitro puissent continuer à être offerts en Alabama. » Elle multiplie en somme les « risques légaux » encourus par les cliniques, affirme-t-elle, et risque de faire augmenter les coûts.