Femmes enceintes seules

Réseau Vie novembre 2022

Tour d’horizon des propositions d’accueil en France

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Table des matières

Une situation paradoxale et méconnue, à l’heure de la contraception généralisée

Des aides de l’État réelles, mais tardives et orientées vers la difficulté sociale

Les besoins des femmes enceintes confrontées à une grossesse imprévue

Entrevue avec la directrice de la Maison de Rosalie

Aujourd’hui en France, il existe une douzaine de lieux d’accueil atypiques pour les femmes enceintes seules, portés par des associations. Quelle est leur utilité ? À quels besoins correspondent-ils ? Qui sont les femmes qui frappent à leur porte et demandent à être accueillies ?

Nous avons choisi de vous présenter ici ces Maisons et lieux d’accueil qui ne se situent pas seulement dans les domaines des missions de service public (logement, protection de l’enfance, grande précarité sociale), mais qui ont chacun imaginé des actions et des modes d’accompagnement au service des femmes enceintes seules, dès les premières semaines de grossesse.

Pour la plupart, nous sommes allés à leur rencontre, afin d’appréhender au mieux leur manière de soutenir concrètement l’accueil de la vie naissante. Nous avons rencontré des personnes déployant leur intelligence et leurs forces au service de ces femmes et de leur enfant à naître, malgré un contexte sociétal peu porteur.

Une situation paradoxale et méconnue, à l’heure de la contraception généralisée

Aujourd’hui, les femmes enceintes, désemparées face à l’annonce d’une grossesse imprévue, sont nombreuses. En effet, le couple est devenu une notion fragile et éphémère, où sexualité et procréation sont bien souvent dissociées. La contraception est censée « immuniser » contre le risque de grossesse, mais les grossesses sous contraception sont fréquentes, laissant les femmes, les couples, bouleversés, fragilisés, face à cet imprévu, voire cet impensé de la relation sexuelle qu’est bien souvent devenu l’enfant, aujourd’hui.

Une contraception « efficace à 99 % », pour un nombre de femmes en âge de procréer se situant autour des 8 millions en France, c’est donc un nombre significatif de grossesses non prévues par an, tous milieux sociaux confondus.

Selon la dernière enquête périnatale nationale de 2021, 5 % des femmes enceintes vivent leur grossesse seules (toutes catégories sociales confondues), et 1,5% des femmes enceintes n’ont pas de logement stable au moment de leur grossesse.

Des aides de l’État réelles, mais tardives et orientées vers la difficulté sociale

Les aides de l’État en ce domaine sont réelles, mais interviennent tardivement dans la grossesse, et sont tournées vers les difficultés sociales. Des aides publiques conséquentes existent pour les femmes enceintes. Il est important de distinguer ce qui relève des missions de l’État, des politiques publiques, des collectivités territoriales, et ce qui relèverait de l’aide pour les femmes découvrant une grossesse et hésitant à la poursuivre. Celles-ci, en réalité, ne rentrent pas dans les domaines intéressant les pouvoirs publics.

Certaines missions de l’État sont parfois confondues avec de l’aide aux femmes enceintes, parce que répondant à certaines problématiques connexes : elles peuvent alors sembler répondre à la « problématique » de la grossesse imprévue. Mais ce n’est pas exactement le cas. L’État procure des aides financières à toute femme enceinte en précarité dès le 4ème mois de grossesse (elles ont droit, même les mineures, au RSA) et cela est non négligeable. Il y a également des aides pour les soins de santé, pour le logement, etc. Une fois que la grossesse est entrée dans son 4ème mois, il y a donc de nombreuses aides matérielles, qui peuvent réellement peser dans la décision de garder ou non l’enfant. Toutes ces aides débutent une fois les délais de l’IVG dépassés.

L’État prend en charge également des femmes enceintes en difficulté lorsque leur situation est telle que leur enfant se trouve en danger ou risque de danger. Ceci relève de la protection de l’enfance. En vertu de l’article 221-2 du code de l’action sociale et des familles, chaque département doit disposer d’un centre maternel, assurant l’accueil de jeunes mères ayant une problématique sociale, du 7ème mois de grossesse aux 3 ans de l’enfant. Il s’agit de mères en difficultés, dont les conditions de vie font craindre pour le bien-être de l’enfant né ou à naître. Elles sont orientées vers ces établissements par les travailleurs sociaux.

L’État, par la loi DALO (droit au logement opposable), doit être en mesure de proposer des solutions de logement décent et indépendant aux personnes (résidant en France de façon stable et régulière) qui ne peuvent accéder par leurs propres moyens à un tel logement et s’y maintenir. Ce peut être le cas de certaines femmes enceintes, mais avant tout, il s’agit de répondre au besoin d’une personne sans logement. D’une manière similaire, le « problème » des femmes en situation irrégulière (dites « sans-papiers ») et enceintes, n’est pas forcément le bébé à naître, mais bien plutôt leur situation administrative.

Ainsi, une femme dont la vie et les projets sont chamboulés par une grossesse imprévue, ne trouvera pas tout le soutien dont elle a besoin dans les seules aides de l’État.

Les besoins des femmes enceintes confrontées à une grossesse imprévue

Ces nombreuses femmes ont souvent besoin d’aide : écoute, aide matérielle, réconfort, hébergement, encouragement, médiation familiale, accueil, etc.

Face à cette diversité des besoins, il existe en France, grâce au tissu associatif, une grande diversité de propositions à destination des femmes enceintes seules : des sites d’écoute aux maisons d’accueil (qui feront l’objet d’une présentation approfondie dans cet article), en passant par les dons de layette et de matériel de puériculture, ces initiatives se complètent, et gagnent à être connues dans leurs particularités.

Citons, entre autres, l’accueil de jour de l’association Le Bercail à Dijon qui offre un espace chaleureux et convivial, où prendre un café, trouver un réconfort, participer à un atelier ; l’association Marraine & Vous qui propose un parrainage entre une famille et une mère isolée, pour offrir aux mamans seules une relation stable, de confiance et dans la durée avec une famille marraine. À Valence, l’association Femmes enceintes en difficulté offre écoute, réconfort et dons de vêtements et de matériel. Au niveau national, citons l’antenne SOS Bébé qui a mis en place un site internet très complet et un service d’écoute, créant ainsi une possibilité précieuse de rompre la solitude et l’isolement liés à des situations difficiles.

Dans notre expérience d’écoute et d’accompagnement, nous avons pu constater que les femmes qui apprennent une grossesse imprévue ont besoin de réfléchir par elles-mêmes, loin des stéréotypes, du prêt-à-penser.

Certaines femmes enceintes, qui veulent accueillir leur enfant mais qui sont dans des conditions difficiles, peinent à imaginer pouvoir le faire. Parfois elles n’osent même pas l’envisager, ne savent pas, ne pensent pas qu’une aide est possible pour elles. Elles ont soif d’être informées, d’être aidées à se projeter, d’être écoutées, dans leur détresse, mais aussi dans leurs espoirs.

Elles ont besoin de considérer leur situation dans son ensemble : couple, projets d’étude, de travail, finances, etc. Elles ont besoin d’être écoutées pour explorer cette situation, pour en découvrir les forces, les fragilités, les manières de les surmonter.

Ainsi en est-il également pour l’entourage d’une femme enceinte confrontée à une grossesse imprévue. Parfois, c’est l’homme, le père de l’enfant, qui se sent le plus impliqué dans la recherche de solutions pour pouvoir accueillir le bébé. Parfois c’est la famille, l’entourage, qui cherche un soutien pour réfléchir, savoir comment se rendre proche, comment pouvoir apporter de l’aide.

En France, des associations se sont engagées aux côtés des femmes enceintes qui font face à une grossesse imprévue, croyant avec elles qu’accueillir cet enfant peut être une aventure de vie, mais qu’il faut proposer des conditions pour cela, parce que le chemin est ardu. En effet, cette période de la grossesse est un moment de grands remaniements psychiques, un moment propice aux prises de conscience concernant le passé et l’avenir, concernant les choix déjà faits et ceux à construire, les relations de couple, familiales, amicales.

Ce moment peut être, si la sécurité et la confiance sont offertes, une opportunité de grandir dans la connaissance de soi, d’élaborer des projets vraiment personnels. Chaque jeune femme enceinte qui demande de l’aide possède en elle sa motivation première, pour changer, pour avancer, pour se consolider : c’est ce petit bébé qui grandit, qui lui donne d’habiter le temps, vraiment, en le marquant du rythme de sa croissance.

Accompagnées et soutenues, ces femmes courageuses se mettent en mouvement dans une période de détresse intérieure et peuvent alors traverser les épreuves, dépasser les obstacles, passer d’une situation subie à une vie qui a de la saveur.

La standardisation généralisée des pratiques que nous connaissons aujourd’hui dans tant de domaines (pratiques enseignantes, médicales, agricoles, sociales, commerciales, etc.) n’a pas encore gagné le domaine de l’accueil et de l’accompagnement des femmes enceintes seules en France par les associations. Et c’est une chance ! En effet, il existe, dans le domaine de l’accueil de l’enfant à naître et du soutien à sa mère, plusieurs propositions différentes, du studio indépendant à la maison d’accueil ayant une forte dimension de vie partagée, en passant par la colocation solidaire.

Toutes ces modalités d’action sont nécessaires, complémentaires, sans hiérarchisation. Chacun œuvre selon ses talents et son appel. Les propositions d’accueil doivent être aussi variées que les besoins, les attentes des femmes concernées. Aucune œuvre ne peut prétendre répondre à tous ces besoins, mais, de manière complémentaire, ces associations peuvent s’adresser à un plus grand nombre de femmes et leur permettre, ainsi, de choisir la vie. Malgré la présence de ces associations diverses, il faut noter que le champ de l’aide aux femmes enceintes seules ou en difficulté est encore assez pauvre, et qu’il y a beaucoup à faire dans le domaine.

Pour la plupart, ces associations bénéficient rarement de subventions publiques de fonctionnement, et ne peuvent agir que grâce à des financements privés (dons de particuliers, d’entreprises, subventions de fondations).

Notons que la décision de demander de l’aide et de venir vivre dans un de ces lieux d’accueil nécessite un grand courage, dans un contexte qui enjoint « d’assumer » seule ce choix. Le coût de l’accompagnement dans les maisons d’accueil, que l’on pourrait considérer comme étant élevé, est à la mesure de ce courage, et de la qualité de la réponse à apporter.

Anne MÉNAGER

Entrevue avec la directrice de la Maison de Rosalie

Avec Marine Cavalier, nous travaillons ensemble depuis des années comme éducatrices auprès de femmes enceintes désemparées par l’annonce d’une grossesse imprévue. Nous portons ensemble le projet de la Maison de Rosalie, une maison pour les femmes enceintes seules, pour leur permettre d’accueillir inconditionnellement leur enfant et de vivre leur vocation à l’amour : aimer et être aimées. Par le passé, Marine Cavalier a été directrice des deux maisons d’accueil de l’association Magnificat Accueillir la Vie, et est aujourd’hui la directrice de La Maison de Rosalie, située en Charente. Afin de vous la faire découvrir, nous nous sommes prêtées au jeu de l’interview.

Anne Ménager : Parmi les maisons d’accueil déjà existantes, quelle est la spécificité de la Maison de Rosalie ? Quelle est votre intuition profonde pour ce projet ?

Marine Cavalier : Notre intuition profonde, pour ce projet de la Maison de Rosalie qui va ouvrir ses portes début 2023, c’est que tout enfant a sa place dans le monde, qu’il doit exister un chemin pour l’accueillir, ainsi que sa mère : il existe un chemin de vie pour eux. Nous avons fait l’expérience, en accompagnant durant des années des femmes enceintes, qu’accueillir l’enfant imprévu peut bouleverser positivement la vie de sa mère, si elle est aimée et bénéficie d’un accompagnement de qualité. Le fait d’accueillir cet enfant et d’accepter de se mettre en chemin pour lui ouvre des horizons nouveaux pour sa mère.

La spécificité de cette maison, parmi les propositions existantes, c’est la forte dimension de vie partagée au quotidien et d’accompagnement : nous proposons un accompagnement qui s’appuie sur l’expérience d’une équipe d’éducatrices formées, engagées dans le projet en vivant sur place. Les éducatrices sont présentes 24h/24 pour accompagner les mamans et partager leur quotidien. Une autre spécificité, c’est le choix que nous faisons de permettre aux mamans d’être accueillies le temps dont elles ont besoin, dans la limite des trois ans de leur enfant. Cette échéance lointaine permet de se mettre en chemin sans pression d’urgence, afin de pouvoir non seulement accueillir cet enfant, mais aussi d’avoir le temps de s’affermir intérieurement, de reprendre confiance en soi.

A.M : Pourriez-vous nous faire un portrait vivant d’une maman qui pourrait être accueillie à la Maison de Rosalie?

M.C : Voici à quelle demande la Maison de Rosalie répond : celle d’une femme qui, quels que soient sa situation et son entourage, voit sa grossesse chambouler les projets qu’elle avait établis, ou révéler la fragilité de ceux-ci, voire leur absence. Sa grossesse met généralement en avant une détresse ou des difficultés déjà présentes. Elle subit des pressions : pression matérielle, sociétale, familiale, pression de la culpabilité (sentiment de responsabilité exacerbé vis-à-vis de la « désertion » du père de l’enfant). Le besoin de prendre du recul se fait alors ressentir.

La jeune mère veut accueillir son enfant, mais en considérant les conditions actuelles de sa vie, elle ne sait pas quelle place lui faire, ni comment. Elle a besoin d’être accompagnée, et demande un soutien pour se préparer à devenir mère et pouvoir envisager un avenir stable et serein. Elle demande de l’aide pour le bâtir, pour préparer une réelle insertion socio-professionnelle. Elle espère pouvoir s’épanouir en tant que mère.

De plus, elle ne veut pas vivre sa grossesse seule : la vie avec d’autres l’attire car elle lui permet d’envisager un partage avec d’autres mamans. N’étant pas engagée avec le père de l’enfant, la jeune femme ne veut pas se retrouver seule dans ces moments uniques et décisifs, mais n’a pas non plus envie de « retourner chez ses parents » pour combler cette solitude. Elle veut un lieu collectif, qui lui offre un partage avec d’autres mamans et une vie d’adulte indépendante, mais entourée.

C’est à cette détresse et à cette demande, maintes fois entendues, que nous voulons répondre. Les femmes qui demandent à être accueillies à la Maison de Rosalie ressentent au plus profond d’elles-mêmes le besoin de consolider leur vie, pour « offrir à leur bébé une maman libre », comme nous a dit, il y a quelques années, l’une d’elles. C’est pour faire le point avant la naissance de l’enfant, dans les différents domaines de leur vie, qu’elles demandent un accueil et un accompagnement à la Maison. L’accueil à la Maison de Rosalie est donc basé sur la démarche volontaire de la mère, démarche où la demande d’accompagnement et de vie avec d’autres a été clairement formulée.

Ce portrait de maman que je viens de faire, il peut correspondre à des femmes venant de tout milieu social, aux situations personnelles et professionnelles variées ; à la Maison de Rosalie, ce sont des personnes aux profils très divers qui demandent à vivre ensemble : le critère d’accueil, c’est la détresse du cœur d’une mère face à l’arrivée de son enfant dans des conditions qui lui semblent difficiles.

A.M : Quel accompagnement proposez-vous à ces femmes ?

M.C : Avant tout, c’est un accompagnement qui se base sur une rencontre personnelle, et c’est le partage du quotidien qui permet cette rencontre. La vie quotidienne partagée est le lieu privilégié de la connaissance de soi, et de la découverte d’une relation à l’autre de qualité.

Nous voulons offrir un accompagnement fondé sur l’amour, qui s’appuie sur l’expérience de l’équipe d’éducatrices. Il a pour base la confiance dans les richesses intérieures de chacune. Nous respectons chacune dans son unicité, en partant de sa propre réalité, pour l’aider à construire librement sa vie de femme et de mère, en bâtissant des fondations solides pour sa vie tout entière, avant de reprendre son envol. La continuité du travail d’accompagnement auprès de chacune, de la demande d’accueil jusqu’au départ, est effectuée en vue de lui permettre de quitter la Maison en confiance, vers une vie de famille autonome, responsable et épanouissante.

Les mamans sont des adultes qui ont fait elles-mêmes le choix de demander de l’aide et de venir habiter la Maison de Rosalie. L’accompagnement s’appuie sur cette demande d’aide initiale, qui constitue le début d’un chemin ; la jeune femme est alors dans une position d’ouverture et de réceptivité, en position d’agir. Cette aide est demandée en vue d’offrir « quelque chose de bien » à son bébé. Or c’est justement cette recherche de bien, plutôt vague et indéfinie au départ, qui va, pas à pas, s’incarner, se concrétiser vers une découverte plus vaste, permettant à la maman d’arpenter un chemin de bonheur.

Ce sont des femmes qui arrivent dans un moment de grande détresse, et cet accompagnement vise à leur faire retrouver goût à la vie, pour passer d’une situation difficile subie à une vie choisie, qui a de la saveur. Oui, elles peuvent être heureuses et vivre des relations de qualité, s’épanouir comme mères, comme femmes, dans leur travail, leur formation, leur créativité ! Nous nous appuyons sur tout le réseau extérieur local (conseiller juridique, médiateur familial, conseiller conjugal, psychologue ou psychiatre, tuteur de stage, etc.), à partir de ce que nous repérons comme besoins avec la maman.

A.M : Quelle est la place des pères, dans ce projet ?

M.C : Concrètement, l’accueil que nous proposons correspond à des femmes qui sont séparées du père de l’enfant qu’elles attendent. Bien souvent, c’est une situation de rupture ou de conflit avec cet homme, qui a donné l’impulsion de la recherche d’un accueil et d’un accompagnement. Une femme qui est encore en couple avec le père de son enfant ne va pas chercher à être accueillie avec d’autres, à être accompagnée de cette manière : elle se tournera plutôt vers d’autres types d’aide.

Quelle que soit la situation du couple, nous pensons que la relation avec le père de l’enfant, sa place auprès de celui-ci, sont à réfléchir, à travailler, a fortiori quand celui-ci souhaite s’engager auprès de son enfant, comme cela arrive parfois. Si nous accueillons les mères seules, nous avons aussi la possibilité d’accueillir ponctuellement ou régulièrement les pères des enfants, dans un espace dédié.

A.M : Comment se passe la vie quotidienne dans cette maison ?

M.C : C’est une vie de type familial, dans une maison qui est à la fois suffisamment grande pour que chacune y ait sa place, et suffisamment « petite » pour rester une maison familiale, où chaque maman est responsable avec les autres de la gestion du quotidien, de l’entretien de la maison (courses, ménage, préparation des repas à tour de rôle…).

Pendant toute la durée de leur accueil, la Maison devient leur maison : chacune y est vraiment chez elle, et est libre de mener à bien ses projets (cours selon la formation professionnelle, stages, emplois, permis de conduire, suivis divers.).

Concrètement, les journées sont rythmées par les repas pris ensemble, par les projets de chacune, par les démarches administratives et médicales, les activités diverses (artistiques, manuelles, sportives…), les jeux communs, les sorties culturelles, par le rythme des bébés… Chaque maman accueillie est invitée à proposer des idées et à prendre des initiatives, et donne sa couleur à ce quotidien partagé !

À la Maison de Rosalie, le déjeuner et le dîner sont des repères phares dans la journée : moments d’échange et de vie en société, d’expression et de respect mutuel, de partage et de confiance ou, au contraire, moments où les tensions se font jour et qu’il faudra affronter.

A.M : Pourquoi avoir fait le choix d’une implantation à la campagne ?

M.C : C’est l’expérience qui nous fait choisir la campagne : la situation de la maison en milieu rural est un atout, car cette réalité géographique concrète répond au désir profond de changement des femmes qui arrivent à la maison. Cela bouleverse leurs repères (elles sont pour la plupart citadines), et leur permet de prendre de nouvelles habitudes, de vivre des choses nouvelles, parfois aussi de mettre de la distance dans des relations compliquées ou toxiques, de prendre du recul.

Sur le plan de l’insertion, cela ne semble peut-être pas évident d’emblée, mais le milieu rural est très porteur : il offre des possibilités d’emploi, de stages, dans des cadres qui sont sécurisants car à taille humaine. Nous nous sommes rendu compte que pour des femmes qui étaient parfois loin de l’emploi, il y avait quelque chose d’accessible, de rassurant dans cet environnement rural où elles ne sont pas anonymes, mais reconnues.

Nous avons choisi de nous établir dans un village où tous les services (commerces, gare, médecins, crèches et assistantes maternelles, etc.) sont présents, et accessibles à pied depuis la maison. Cela garantit une possibilité d’autonomie pour les mamans.

Et ici en Charente, la campagne est… belle ! Cette beauté est porteuse au quotidien, et nourrit l’âme ! Les mamans sont heureuses de voir leur enfant évoluer, grandir, faire ses premiers pas dans un cadre paisible et beau qu’elles ont choisi.

Entretenir un verger, faire des confitures, travailler au potager, aller chercher des plantes aromatiques pour la cuisine, tondre la pelouse, prendre soin des fleurs, faire des bouquets, soigner les animaux, aller chercher les œufs au poulailler, découvrir les ruches : le jardin offre ainsi de multiples possibilités de découvrir des talents, voire des passions, et aussi de mieux s’ancrer dans le réel.

Pendant cette période de leur accueil, le jardin, le potager, les animaux, les ruches sont pour nous un moyen d’offrir la possibilité aux mamans de découvrir un rapport concret à la nature, aux saisons… de considérer la vie dans une perspective où les choses sont liées les unes aux autres.

A.M : Comment rejoignez-vous les femmes enceintes, comment vous faites-vous connaître à elles ?

M.C : Nous sommes convaincues de la nécessité de communiquer de manière très soutenue, parce que l’aide aux femmes enceintes seules est peu connue, de manière générale. Nous avons donc le souci de faire connaître la maison et la possibilité d’être aidée, en communiquant vers tous les services où les femmes enceintes peuvent se rendre : PMI, sages-femmes, maternités, assistantes sociales ; mais également vers les lieux où elles peuvent se trouver : FJT, foyers étudiants, aumôneries étudiantes, etc. Nous leur enverrons des brochures très régulièrement, pour être présents dans le paysage local, régional.

Au-delà de cet effort continu de communication, je profite de cette entrevue pour dire à nouveau combien la parole de chacun compte ! La plupart des mamans arrivent dans ce genre de lieu d’accueil parce qu’elles en ont entendu parler. La parole de chacun est vraiment d’une importance cruciale ; quelqu’un leur dit : « il existe des aides, il existe des maisons », et elles vont chercher sur internet, se permettre de croire que leur situation n’est pas une impasse, qu’elle peuvent imaginer une vie avec ce bébé.

A.M : Vous avez fait le choix d’être une équipe d’éducatrices formées, salariées, vivant sur place. Cela représente un certain coût de fonctionnement, que pouvez-vous nous en dire ?

M.C : Tout dépend de ce qu’on veut apporter à ces femmes. Elles ont fait un choix où elles ont mis énormément de choses en balance, elles ont quitté leur vie habituelle, elles ont courageusement choisi de faire confiance au mode d’accueil proposé, en se disant « ça va me faire grandir pour accueillir mon bébé » ; en réponse à ce courage, nous faisons le choix de proposer ce cadre très porteur.

Au fil de toutes ces années de travail d’éducatrice, dans des foyers pour des enfants et adolescents placés, puis auprès de femmes enceintes seules, j’ai acquis la conviction qu’offrir aux personnes que l’on accompagne un réel partage de présence au quotidien, allié à une connaissance profonde de l’accompagnement humain, est un levier précieux. J’y ai aussi fait l’expérience de ce que certaines blessures peuvent engendrer comme difficultés, des moyens d’identification des « nœuds », de ce qu’il faut travailler… et des leviers qui existent pour soutenir un chemin de changement. Une petite équipe qui travaille ensemble, c’est un cadre qui garantit un accompagnement approfondi et personnel, et cela permet une continuité, une constance, une sorte d’unité : le quotidien devient un socle vraiment solide.

À la Maison de Rosalie, nous serons amenées à accueillir des femmes qui ont souffert d’histoires personnelles difficiles, parfois d’abus, qui ont fait pour certaines un déni de grossesse, parfois aussi des femmes qui envisagent de confier leur enfant à l’adoption… Ce sont des problématiques très spécifiques, qui réclament d’être formé.

De plus, faire vivre ensemble tant de femmes différentes, dans la paix, c’est un défi ! Cela demande un vrai travail au niveau de la communication, des conflits, de la résolution de ces conflits. Pour que ces mères puissent vivre une vie paisible, constructive et joyeuse avec des personnes qu’elles n’ont pas choisies, cela demande une constance de présence et de régulation. Beaucoup d’entre elles n’ont pas connu ce que c’était qu’une relation de qualité, paisible, respectueuse ; elles trouvent à la maison un lieu où leur parole compte, un lieu où faire l’expérience du pardon aussi.

A.M : Quels sont vos besoins actuels pour la Maison de Rosalie ?

M.C : Nous avons besoin de soutien financier dans cette aventure ! C’est un pari que nous faisons dans la confiance, parce que c’est une réalité : nous ne sommes pas dans le domaine des missions de l’État. Nous voulons pouvoir accueillir, dès les premières semaines de grossesse, des femmes de tous milieux sociaux, et il n’y a pas d’argent public destiné à ce type d’accueil. Si une mère n’est dans les cases ni de la précarité, ni de l’hébergement d’urgence, ni de l’Aide Sociale à l’Enfance, il n’y a pas de financement public pour elle.

Pour ceux qui seraient proches géographiquement, nous avons besoin d’aide au jardin et dans la maison, pour des « petits » travaux. Tout bricoleur est bienvenu et trouvera un chantier correspondant à ses talents.

Et nous avons aussi besoin d’étoffer notre équipe d’éducatrices : si vous connaissez des éducatrices spécialisées en quête d’un projet dans lequel s’engager… n’hésitez pas à leur parler de la Maison de Rosalie !

Pour mieux connaître la Maison de Rosalie, la soutenir par vos dons et suivre la vie de la maison :

www.maisonderosalie.fr

La lettre ci-dessous a été envoyée à nos abonnés sous forme de livret A4 à visionner au format PDF.