Vie sociale et vie biologique : des interactions, une symphonie
Publié le 8 Juin, 2022
Une étude vient de montrer l’importance du temps passé par un adolescent avec son père sur sa production de testostérone à l’âge adulte, une fois lui-même devenu père[1]. Pour le professeur René Ecochard, professeur à l’université Claude-Bernard (Lyon I) et auteur de Homme-Femme, ce que nous disent les neurosciences, paru aux Editions Artège, cette étude rentre dans l’ensemble des travaux qui montrent à la fois l’importance de notre biologie pour nous aider à conduire notre vie, l’importance des relations familiales et la finesse de la physiologie masculine, si mal connue du grand public. Entretien.
Gènéthique : Nos relations sociales influencent donc notre biologie ? Et inversement ?
René Ecochard : Il y a, en effet, une symphonie entre ce que nous vivons au contact de notre entourage et ce qui se passe en nous sur le plan hormonal. Les neurosciences appellent cela la synchronie bio comportementale. De plus, ce qui se passe sur le plan hormonal pendant certaines phases de la croissance (la vie in-utero, la première année du nouveau-né appelée mini-puberté et l’adolescence) inscrit en nous une marque qui persiste à l’âge adulte.
Nos hormones, qui agissent sur tout le corps et en particulier sur le cerveau, sont une aide pour mener notre vie. C’est ainsi que, par exemple, dans les heures qui précèdent le réveil, le cortisol augmente pour préparer le corps à la vie éveillée. Nos hormones nous accompagnent sur le plan du corps, mais aussi du psychisme. Ainsi, nos hormones influencent notre vie sociale.
Nos relations sociales influencent à leur tour nos hormones : par exemple, chez l’homme, la testostérone augmente chez l’enseignant qui entre en classe ou chez le politicien lorsqu’il fait face à son public. De même, la testostérone augmente lorsqu’on gagne une compétition ou lorsqu’on a une réussite. Un phénomène comparable mais moins fort a été observé chez la femme. Ce que nous vivons influence notre climat hormonal. Ceci nous rend plus apte à remplir nos tâches.
G : Que fait la testostérone sur le psychisme masculin ?
RE : Robert Sapolsky, scientifique américain professeur de biologie et de neurologie à l’université Stanford, décrit trois actions de la testostérone sur le psychisme : elle nous donne confiance en nous, elle nous rend très sensible à la hiérarchie, elle amplifie nos réactions. Ceci participe au psychisme masculin.
La testostérone donne à l’homme confiance en lui. C’est, bien souvent, une bonne chose. Mais l’homme doit rester prudent, car de la confiance en soi à un excès de confiance en soi, il n’y a qu’un pas. L’homme peut devenir trop sûr de lui.
Sous l’effet de sa testostérone, l’homme est rendu plus prompt à défendre sa place dans la hiérarchie. Selon le principe de subsidiarité, ce sont les parents et non l’état qui fixent les règles éducatives des enfants. Le père de famille est enclin par sa testostérone à défendre ce principe. Bien entendu, l’homme doit apprendre à modérer ses ardeurs pour ne pas monter trop vite sur ses ergots comme le ferait le coq. Mais, son inclination masculine à défendre sa place participe à sa mission de protecteur de la famille.
La testostérone a aussi un effet amplificateur : elle lève les inhibitions. La testostérone pousse à aller de l’avant sans trop regarder les détails. Elle rend aussi moins sensible à la dimension émotionnelle des situations. En complément de la grande ouverture féminine aux détails et à la dimension émotionnelle, l’homme est enclin à défendre d’autres aspects de la réalité, il est plus rationnel, moins centré sur l’instant, moins soucieux des petites choses de la vie.
Ces deux angles de réception de la réalité, par l’émotionnel ou le rationnel, par le détail ou de manière plus globale, gagnent à être considérés comme une complémentarité entre l’homme et la femme.
G : Existe-t-il d’autres exemples de ces interactions entre relations sociales et biologie ?
RE : Oui, vraiment, sans aucun doute. Ainsi, par exemple, beaucoup de parents disent : « ce sont nos enfants qui ont fait de nous des parents. Nous ne nous en sentions pas capables avant d’avoir nos enfants. » Bien des femmes hésitent à concevoir un enfant, ne se sentant pas mère. Bien des hommes ne s’imaginent pas donner un biberon ou accompagner leur enfant à l’école.
La nature a prévu cela… C’est l’enfant qui fait de nous des parents. Biologiquement. Le visage rond de l’enfant, son odeur, ses mimiques puis ses sourires, lorsqu’il nous appelle maman ou papa…, font sécréter en nous l’ocytocine, hormone qui nous incline à nous attacher à lui. La prolactine que la mère sécrète lorsqu’elle allaite son enfant agit sur son cerveau pour l’inviter à prendre soin de l’enfant.
La proximité de la mère, tout d’abord enceinte puis portant son bébé dans les bras, modifie le climat hormonal de l’homme et l’incite, lui aussi, à s’attacher à l’enfant et à la maman : il sécrète également de l’ocytocine, hormone de l’attachement, ainsi que de la prolactine, en quantité moins élevée que la mère qui allaite mais plus élevée qu’en temps ordinaire. Celle-ci l’incite à prendre soin de son foyer. De plus, son taux de testostérone est plus bas qu’à l’accoutumée pendant les 6 premiers mois de l’enfant. Cela le rend plus enclin à rester auprès des siens.
Nos hormones sont une aide qui nous est offerte par la nature. C’est une raison importante de tout faire pour ne pas altérer notre biologie. Dans le livre Homme, femme, ce que nous disent les neurosciences, je donne bien d’autres exemples. C’est notamment le cas des hormones du cycle féminin, qu’il est si précieux de préserver !
G : Ces recherches tendent-elles à montrer que la paternité se transmet de père en fils ?
RE : Oui, partiellement, c’est ce que montre l’article de Gettler et al. Cependant, notre psychisme n’est pas déterminé seulement par la biologie. Il y a une part innée et une part acquise. La masculinité prépare l’homme biologiquement à être père. Mais cette part innée doit être développée. De même qu’une aptitude pour le sport, la musique ou les mathématiques est à développer, notre potentiel de paternité, fondé dans la masculinité, est à cultiver.
Trois facteurs déterminants pour ce faire peuvent être évoqués : le regard des autres, l’éducation et les choix libres de la personne. La présence du père aux côtés du fils fait partie de l’éducation. La publication scientifique de Gettler établissant un lien entre l’attitude du père auprès de son enfant adolescent et le niveau de testostérone à l’âge adulte montre qu’il y a une part biologique dans la transmission. Il y aussi une part plus psychologique. Si la masculinité et le rôle du père sont valorisés par les paroles de la mère et du reste de la famille, le garçon est encouragé à développer ses aptitudes masculines ; au contraire, les expressions du type « tu es bien comme ton père » ou « toi, tu es gentil, tu n’es pas comme ton père » peuvent détourner le garçon de son chemin vers un horizon d’homme et de père. Enfin, quel que soit ce qui a été reçu par la biologie ou l’éducation, les actes posés librement par le jeune homme peuvent le préparer à une paternité ou au contraire l’en éloigner.
G : Les auteurs disent qu’il y a des périodes sensibles, pendant lesquels certaines choses se transmettent plus volontiers. Qu’en est-il ?
RE : Ces recherches montrent qu’à chaque temps de la vie quelque chose se prépare pour l’avenir.
Pendant la vie in-utero, dans le ventre de notre mère, nous avons reçu beaucoup plus que notre corps. Nous avons reçu aussi les bases de notre psychisme. C’est in utero que s’inscrivent les premières inclinations et aptitudes propres à la féminité et à la masculinité : notre caractère plus empathique ou plus enclin à s’intéresser aux règles de fonctionnement, par exemple. Ce sont les premiers effets de notre paire de chromosomes propres à la femme (XX) ou à l’homme (XY).
La première année après la naissance, qui est une mini-puberté, cet effet se prolonge par le biais des hormones, œstradiol pour la fillette, testostérone pour le garçonnet. Ainsi, de la conception à la fin de la première année s’inscrivent en nous les bases de notre personnalité.
L’enfance va permettre à nos inclinations et aptitudes masculines ou féminines de continuer à se développer, aidées par l’éducation reçue, à l’instar d’un stage de fin d’étude qui permet d’approfondir ce qui a été acquis pendant les cours théoriques. C’est un second temps précieux pour le développement de l’identité sexuelle.
Mais on est encore loin de la maturité sexuelle, qui nécessite l’action de la troisième période de maturation, de la puberté à l’âge adulte. Ce troisième temps, appelé la deuxième douzaine par les éducateurs anglo-saxons, va de la puberté à l’âge de 22 ans environ chez la jeune femme, et 24 chez le jeune homme.
[1] Lee T. Gettler et al, Evidence for an adolescent sensitive period to family experiences influencing adult male testosterone production, Proceedings of the National Academy of Sciences (2022). DOI: 10.1073/pnas.2202874119
René Ecochard, marié avec Isabelle, ils ont 4 enfants et 15 petits-enfants Médecin, épidémiologiste, professeur Emérite de l’Université Claude Bernard à Lyon (France) Il est titulaire d’une thèse de biostatistique et démographie à Cambridge (Grande Bretagne) Spécialiste de la biologie de la reproduction, il est co-auteur de 30 articles scientifiques dans ce domaine et au total de 275 articles. Il a participé au développement de la Fédération Africaine d’Action Familiale. Avec son épouse, il travaille à la promotion d’une écologie humaine. Ils ont écrit notamment le Petit Manuel d’Ecologie Humaine aux éditions du Centurion, du livre Intimité, sexualité, fécondité chez Tequi et en 2022 de l’Encyclopédie sur la sexualité humaine, l’amour et la fécondité chez Tequi. Il est responsable à l’Université Claude Bernard de la formation Restauration de la Fertilité destinée en particulier aux médecins et aux sages-femmes. Depuis trois ans il se consacre aux fondements neuroscientifiques de l’anthropologie et a publié en 2022 le livre Homme, Femme, ce que nous disent les neurosciences, chez Artège.